Rock and Folk

Leur réponse intelligente à l’idiot Napster

“The Defiant Ones”

Netflix

vant d’expliquer pourquoi ce documentaire en quatre parties d’Allen Hugues (diffusé par HBO en 2017, et sur Netflix actuellement) est un des plus magistraux réalisés à propos de l’industrie musicale depuis qu’elle existe, il convient de rappeler, même à gros traits, qui en sont les deux protagonistes. Pas le plus connu, en France, des producteurs (de disques) américains, Jimmy Iovine est, comme Tony Visconti, un New-Yorkais de Brooklyn né dans une famille d’origine italienne. Mais à la différence de celui qui a façonné le son de T. Rex (et permis à Marc Bolan d’accéder avant de découvrir l’univers des studios. Il a pénétré ces lieux alors sacrés par la petite porte en tant que tea-boy — sorte d’homme (jeune) à tout faire, chargé des basses besognes (arriver avant tout le monde le matin pour ouvrir les salles, préparer les magnétophones et la table de mixage, faire le café pour les musiciens, porter les lourdes boîtes de bande multipiste à l’époque où il y en avait…) — avant d’être autorisé à toucher aux boutons de la console (généralement, au moment du mixage, avant les tables automatiques, toutes les paires de mains étaient bienvenues). Au milieu des années 1970, aux Record Plant Studios de New York le plus souvent, il a participé, en tant qu’assistant, puis ingénieur du son, à des enregistrements de John Lennon, Harry Nilsson ou Bruce Springsteen. A partir de 1978, il a pris de l’assurance ainsi que ses responsabilités, et on a pu lire son nom, comme producteur, sur des disques des Paley Brothers (“Ecstasy”, leur excellentissime EP paru cette année-là), Patti Smith (“Easter”, “Dream Of Life”) et, bien sûr, Tom Petty (de “Damn The Torpedoes” à “Southern Accents”). La décennie suivante, Iovine a également loué ses services à Dire Straits, Stevie Nicks (dont il a aussi partagé la vie), Pretenders et U2 (“Rattle And Hum”). Mais il ne s’est pas contenté de produire des disques au sens artistique du terme. Plus jeune que Jimmy d’une dizaine d’années, Andre Romelle Young, dit Dr Dre, a grandi à Compton (Los Angeles), a été membre de NWA. — les champions du gansta rap — et un des propriétaires de Death Row Records. C’est sur ce label au nom explicite distribué par Interscope, celui fondé par Jimmy Iovine, au tout début des années 1990, et en partenariat avec Warner, que Dre a publié son premier album solo (“The Chronic”) et aidé à mettre en boîte le premier de Snoop Dogg (“Doggystyle”). Le succès, en grande partie dû à la de Dre, ne va pas se faire attendre, et Iovine et lui vont entretenir une relation amicale et professionnelle (personne n’est sûr de l’ordre…) particulièrement lucrative, mais également riche en coups d’éclat. Elle sera malheureusement ternie par des scandales et des violences dignes d’une guerre de gangs attisée, bille en tête, par Suge Knight, un des cofondateurs de Death Row (il coule aujourd’hui des jours plus paisibles derrière les barreaux…) qui mèneront au décès prématuré de Tupac Shakur. “The Defiant Ones”, réalisé par Allen Hugues qui, avec son frère Albert, au sortir de l’adolescence (avant “Menace II Society”, leur premier long métrage en 1993), a signé des clips pour Tone Loc et Tupac Shakur, revient sur l’incroyable parcours de ce tandem constitué d’hommes que tout semblait opposer, mais qui ont en commun l’amour de la musique, une réelle passion pour les artistes et les musiciens (à la différence des technocrates, sourds comme des pots, qui occupent les postes clefs de ce business aujourd’hui) et un indéniable pif pour avoir redéfini les contours de l’industrie musicale confrontée au piratage massif induit par Internet et la piètre qualité des services de streaming (elle est à peine meilleure en 2021, mais les auteurs et compositeurs sont toujours spoliés). Parfois capable de châtier autant qu’elle aime, la critique musicale américaine a tempéré son enthousiasme, à propos de cette série en quatre épisodes (que l’on conseille de visionner à la suite pour s’imprégner du phénomène), arguant du fait que l’image de Jimmy Iovine et Dr Dre qui s’en dégageait était un peu trop flatteuse. C’est en partie vrai, mais l’argumentation s’équilibre via le déroulé des événements, tous au moins mentionnés (qu’ils soient positifs ou négatifs) et, surtout, la sincérité des propos tenus par une impressionnante liste d’interviewés dont Patti Smith, Ice Cube, Bono, Tom Petty, Eminem, Gwen Stefani, Snoop Dogg, Kendrick Lamar et Trent Reznor. Montée avec du nerf, mais pas de manière stroboscopique, “The Defiant Ones” se déguste en mode flash-back puisqu’il démarre en 2014, par l’acquisition (par Apple Inc. et non Corp. qui est l’entreprise des Beatles), de Beats Electronics, la société de matériel audio (surtout réputée pour avoir commercialisé des casques à des prix prohibitifs), puis de streaming (Beats Music) créée par Iovine et Dre huit ans plus tôt. Il s’agissait, comme ils l’expliquent, de leur réponse intelligente à l’idiot Napster. Les premiers développements de leurs carrières respectives sont passionnants, tout comme la création d’Interscope qui, au départ, a accueilli des groupes de rock alternatif dont aucune major ne voulait: No Doubt, Helmet, 4 Non Blondes ou Rocket From The Crypt. Curieux de nature et inspirant la confiance même à ceux que l’industrie avait rendus très suspicieux, Jimmy Iovine va également convaincre Trent Reznor (Nine Inch Nails) et Marilyn Manson de le laisser distribuer leur musique. De son côté, suite aux déboires de Death Row, Dr Dre créera Aftermath, sa propre structure toujours opérationnelle à ce jour, en association, de coeur et d’esprit, avec Interscope. Dès lors, il contribuera aux carrières à succès de 50 Cent et Busta Rhymes, puis à celles des prodiges, dans leur genre, Eminem et Kendrick Lamar. Contrairement à ce que prétend la plateforme de streaming, “The Defiant Ones” n’est donc pas une production Netflix, et la série est également trouvable en DVD/Blu-ray. A priori, aucun bonus n’est proposé dans cette édition commercialisée par Universal, tout comme la bande-originale de la série, signée Atticus Ross, Leopold Ross et Claudia Sarne.

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