LA PHOTO D’ENFANCE Nora Hamzawi
Ça me rend dingue. J’avais une autre photo que je ne retrouve plus. Une photo que j’ai vue cent fois dans ma vie, encore récemment pendant le confinement : c’est la sortie des classes – j’ai deux ans de moins –,Lui est au collège, il a neuf ans de plus, donc 14 ans. Et il faisait ça, parfois : il venait me chercher – c’était des petites surprises –, il me portait sur ses épaules et je me souviens de toutes les sensations… Nous sommes avenue Théophile-Gautier – on ne voit rien de Paris derrière, c’est un plan serré, comme sur celle-ci – et à l’angle, sur le trottoir d’en face, en diagonale, il y avait une librairie-papeterie qui puait la clope, avec une libraire atroce qui, pour une raison mystérieuse, me fascinait et qui du jour au lendemain a disparu, à l’asile ou à l’HP ? Ou elle a pris la caisse et elle s’est enfuie? Enfin, quelque chose d’hyper-spectaculaire. Faudrait que je redemande à ma mère. Bref. Nous, nous habitions juste en face. Dans une résidence avec une longue cour d’immeuble un peu glauque, où mon frère me faisait croire qu’il fallait qu’on alors on dispersait un peu partout des pépins de pomme… Et au huitième étage, dans notre appartement – il m’a filmée, un jour, sur le balcon, un film Super 8, avec mon doudou, un ourson, que je devais faire tomber, puis retrouver en bas et serrer dans les bras –, je partageais ma chambre avec ma sœur qui a quatre ans de plus ; celle qui a treize ans de plus avait la sienne – et sa propre ligne téléphonique – ; lui était au fond du couloir, il fallait frapper pour entrer. Il y avait un autocollant odorant sur l’une des poignées. Et moi, j’avais le droit d’être là. J’aurais tellement voulu vous apporter une photo de nous, ensemble… Cela dit, mon frère adorait, à l’époque, ce portrait d’école primaire. »
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