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UN VACCIN NOMMÉ DÉSIR

C’est une scène étrange et pourtant bien réelle, entre le film catastrophe et l’émission de téléréalité. Le 2 mars 2020, Donald Trump reçoit à la Maison Blanche quelques-uns des plus puissants patrons de biotechs et de laboratoires pharmaceutiques. Giuseppe Conte n’a pas encore annoncé le confinement de l’Italie mais les maîtres du monde ne se font plus d’illusions : l’avenir va s’écrire en lettres de cendre. « Nous travaillons très dur et nous avançons aussi vite que possible, énonce le président américain en préambule. Nous allons réussir. » Ses invités sont placés autour d’une grande table ovale, devant des verres d’eau et des étiquettes à leurs noms. Donald Trump teste les uns après les autres, à sa manière, brutale et incongrue. « Vous pensez que vous aurez le vaccin dans combien de temps ? » lance-t-il à un ponte de Sanofi, comme si la réponse était évidente. « Peut-être d’ici quelques années, difficile à prédire, monsieur le président. » Lippe boudeuse. « Bien, merci. » Sous l’œil d’Anthony Fauci, son immunologue en chef, il se tourne vers un autre géant du secteur. « Donc votre procédé sera plus rapide ? » relance-t-il, impatient. « Oui, de quelques mois. »

Toujours la même moue. Voici maintenant un homme au regard assuré derrière des lunettes demi-cerclées. Il s’exprime avec un fort accent français. Surprise : avec lui, il n’est plus question d’années ni de mois ni même de semaines.

«Nous sommes fiers d’avoir envoyé notre vaccin aux équipes du docteur Fauci en seulement quarante-deux jours, annonce-t-il. Nous pouvons aller très très vite.

– Alors d’ici quelques mois vous aurez un vaccin ?

– Tout à fait. »

Trump esquisse un sourire. Au bout de la table, le docteur Fauci tempère l’enthousiasme : « Vous n’aurez pas un vaccin ; vous aurez un vaccin prêt à être testé. » L’homme providentiel en convient : « En phase 2, oui. » Alors, combien de temps encore ? Cette fois, Fauci préfère répondre : « Un an, un an et demi... » Le président semble déçu, mais il regarde avec curiosité ce Frenchie plein de promesses : Stéphane Bancel, 47 ans, patron de Moderna Therapeutics, une entreprise de biotechnologie du Massachusetts spécialisée dans la recherche protéique. Avant la réunion, un conseiller lui avait glissé à son sujet : « Cet homme va peut-être sauver le monde. »

Ce pourrait être un visage de plus dans une époque où les messies surgissent de nulle part avant de disparaître dans l’oubli, mais cette affaire semble différente. Dans les coulisses de la crise sanitaire, Stéphane Bancel est devenu le héros d’une aventure où la moindre avancée thérapeutique lève autant d’espoirs que de dollars. Imaginez : avant l’apparition du Covid-19, Moderna pesait 9 milliards de dollars en Bourse (1 dollar vaut quelque 0,90 euro). Cinq mois plus tard, après les déclarations de son patron sur la possibilité d’un vaccin, elle en valait près de 30, autant qu’une multinationale comme Vivendi. Plus de 300 % d’augmentation : existe-t-il un meilleur placement ? À l’heure où j’écrivais ces lignes, début juin, l’engouement était cependant retombé et la valorisation avait fondu d’une demi-douzaine de milliards. Surtout, la presse anglo-saxonne commençait à émettre des doutes. Comment ce personnage pouvait-il être aussi sûr de lui, alors que sa société n’a pas encore sorti un seul médicament? Et pourquoi a-t-il vendu 400 000 actions et empoché 13 millions de dollars au cœur de la crise ? Le 5 juin 2020, un ancien procureur de Louisiane devenu avocat proposait aux actionnaires de se liguer pour lancer une enquête sur les pratiques des dirigeants. Au fond, Stéphane Bancel s’est mis tout seul dans une situation intenable : si ses équipes trouvent le vaccin, on chantera ses louanges durant des décennies. Sinon, il risque bien de rester dans l’histoire comme un formidable mystificateur.

« Bientôt un milliard de doses par an »

Samedi 2 mai, 22 h 05, heure française : « Bonjour, m’écrit-il dans un mélange de français et d’anglais en réponse à ma demande d’entretien. Il n’est pas sûr d’avoir le temps de me parler, Deux mois plus tôt, le 3 mars, l’agence américaine du médicament (la FDA) lui donnait le feu vert pour procéder aux premiers essais sur un groupe de quarante-cinq volontaires sains (la fameuse phase 1). Pour soutenir l’effort, le ministère de la santé décidait d’injecter 483 millions de dollars dans Moderna.Il me faudra encore insister pour obtenir un rendez-vous.

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