Une ville qui revient de loin
Dans les années 90, Zurich faisait les gros titres des journaux télévisés du monde entier. Pas pour ses affaires bancaires, ni pour sa haute qualité de vie, mais pour ses versants les plus sombres: la Mecque européenne de l’héroïne, voilà ce qu’elle étaitau monde en était-elle arrivée là? Première cause, justement, l’embourgeoisement galopant qui agite la ville dans les années 80: on rénove à tout-va, on évacue les squats, si bien que les toxicomanes se retrouvent à la rue. Alors, peu à peu, un supermarché de la drogue à ciel ouvert se forme au Platzspitz, un jardin public au confluent de la Sihl et de la Limmat, à quelques dizaines de mètres de la gare principale. Les autorités laissent faire: les dealers et les consommateurs, concentrés ici, sont davantage contrôlables, quantifiables (jusqu’à 4000 personnes s’y retrouvent quotidiennement), et la distribution de seringues neuves (jusqu’à 12000 par jour), pour tenter d’enrayer l’épidémie de VIH, est plus aisée. Effets pervers: le prix de l’héroïne, banalisée, baissant, les junkies affluent par milliers de tous les cantons suisses, puis de France, d’Allemagne ou d’Italie. Face à la colère des riverains, la police évacue en 1992 le «parc aux seringues», mais il se reconstitue aussitôt, à 800 m de là, sur la friche ferroviaire du Letten, où l’horreur monte encore d’un cran: overdoses à la chaîne, viols, dealers qui s’entretuent, cloaque humain. Nouvelle évacuation, définitive celle-ci, en 1995. Difficile d’imaginer cet enfer quand on déambule aujourd’hui au Platzspitz et au Letten, si riants, si pleins de joggeurs et d’enfants qui batifolent. La drogue, loin s’en faut, n’a pas déserté la ville. Mais les autorités ont été forcées de prendre des mesures fortes: ouverture de 4 salles de shoot – accessibles aux seuls Zurichois, les autres toxicomanes étant renvoyés chez eux –, distribution massive de méthadone, et même distribution contrôlée d’héroïne – la Suisse n’a pas pour autant dépénalisé les drogues dures. Incontestablement, la tranquillité publique a été restaurée: les décès par overdose et les contaminations au VIH par échange de seringue ont chuté, tout comme les vols à la tire et autres larcins qui, autour du Letten, étaient légion. Mais le trafic, lui, est seulement devenu invisible et a migré vers le réseau Internet: on consomme en appartement; on achète par Whatsapp, Telegram ou via le Darknet. La Suisse serait même le huitième marché mondial de la drogue
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