L'armoire des braises
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Trois livres, trois chemins intérieurs en enfilade, trois saisons croisées ouvrant vers une nouvelle lecture de la décolonisation des esprits et la libération des identités exilées, assignées à résidence. L’immigration est un mot étroit, incapable de contenir une vie. Dans l’armoire grise de l’auteur, des tresses de souffles d’un passé qui brûle entre blessures et résistances.
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Aperçu du livre
L'armoire des braises - Chaouki Dachraoui
Dachraoui Chaouki
L’armoire des braises Le musée des absences
À Yousri, en sa mémoire,
À Mehdi & Inès, ses enfants,
À Lamia, son épouse.
À Slah… Mon complice d’exil.
Je me suis laissé envahir par une odeur unique, celle du neuf.
La percevez-vous ? Elle est si singulière, si enivrante.
Une odeur première, intacte, porteuse d’un parfum de commencement.
J’exhume une vieille carte postale, une photographie déposée dans le ventre d’une armoire grise où sommeillent mes collections.
C’est l’image d’une Bédouine. Je respire son cou. Elle avance doucement, et je suis là, marchant dans ses pas, habitant déjà sa vie.
Mon armoire grise est le quatrain d’une dernière saison, devenue mes quartiers d’hiver.
Cette saison particulière, chargée d’objets inertes est aussi celle d’une identité que je reconstruis, image par image.
Une identité dont je ne pouvais disposer avant.
Je n’ai jamais pu porter le drapeau de mon pays d’origine, la Tunisie. Ce droit m’avait été refusé.
D’autres s’en chargeaient à ma place. Ma citoyenneté disparaissait au fil des décisions qu’on prenait pour moi.
J’ai quitté mon pays natal afin de me retrouver, réellement, découvrir d’autres distances plus vastes. J’étouffais dans cet horizon restreint.
Je marche, à travers mes tremblements de vie et des rencontres heureuses qui construisent.
Aujourd’hui, mes chaussures ne me font plus mal.
Désormais, je marche pieds nus.
À distance, à des milliers de kilomètres de chez moi, je porte enfin ce drapeau confisqué.
Avant-propos
Je suis immigré.
Je refuse qu’on me réduise à ce mot, à ce statut. Je refuse d’être une ligne administrative soumise à des autorisations faites de cachets et de permis de séjours.
Je suis parole.
Je ne m’intègre pas. J’intègre.
Sans m’effacer.
J’écris depuis mon musée personnel. C’est une armoire grise remplie de photos, de lettres d’amour incomplètes, éteintes, de papiers rongés, d’objets inanimés.
Mes cartes ne sont pas classées. Elles sont dans un désordre incroyable. J’aime ce désordre, que je porte en moi.
Pendant 40 ans de quête infatigable et incessante, j’ai pu réunir plusieurs milliers de cartes postales anciennes tunisiennes. Elles sont toutes uniques.
L’Algérie et le Maroc avaient suivi. Mon armoire grise criait grâce, débordait d’images que je ne parvenais plus à classer.
Dès que je l’ouvrais, le temps s’arrêtait soudain. Je n’avais plus conscience des heures qui passaient. C’était toujours contraint et forcé que je refermais l’habitacle aux premières lueurs de l’aube, afin de glaner un bref repos.
Ces vieilles signatures recréaient en mon for intérieur un cordon ombilical continu, jamais sectionné.
C’était de petits bouts de papiers qui vivaient en hypothermie. Je me disais que j’allais les ranimer, un jour, quand sonnera l’heure de la retraite.
Je me plaisais à penser que ces images avaient leurs propres vies mobiles.
Elles émigraient au gré des achats, des partages. Elles calquaient un destin semblable à la migration physique des hommes. Des fleurs passées en témoin aux générations futures.
Paul ELUARD aimait les qualifier de « petits trésors de rien du tout ».
Chaque panneau que j’expose dans ce livre est une carte postale, une fenêtre, une tentative de réveiller des cendres recouvertes de braises.
Ce livre livre une expérience de vie. Il observe, se souvient, assemble et veille. Il expose.
Chaque document ancien évoque des vies disparues. Une insignifiance pressée, qui disparait des radars, faute d’être nourrie du simple regard de l’autre.
La mémoire est friable. Elle est particules… Flottante dans l’air.
Un ami m’avait prêté un livre intitulé « la cuisine juive tunisienne » édité en 1998 et écrit par Andrée Zana-Murat.
Il prenait la poussière sur une étagère de mon salon dans un désintérêt total.
Et puis, un jour, alors que j’étais en mal d’inspiration culinaire, je m’en suis saisi. Je l’avais feuilleté sans grande conviction.
Je me suis arrêté sur une recette à base de riz et de boulettes de viande qui m’avait accroché, je ne sais d’ailleurs pour quelle raison.
J’ai commencé à cuisiner cette recette.
Des odeurs ont envahi doucement toutes les pièces, m’entraînant ailleurs. J’étais loin.
Le riz – associé aux boulettes à la coriandre fraîche – dégageait des effluves soudains, familiers.
J’étais transporté.
Je remontais le temps sans le savoir.
J’étais dans le passé, cinquante ans plus tôt à l’intérieur de notre villa à Korba, un petit village tunisien, situé au Cap Bon. Ma mère s’affairait dans sa cuisine en train de préparer ce succulent repas.
Ces senteurs familières avaient conduit ma mémoire olfactive vers un souvenir enfoui, que je voulais rencontrer.
J’avais reconstruit une odeur, en lisant un texte de recette publié par d’autres.
Qu’est-ce que j’avais perdu et que j’ai retrouvé accidentellement dans ce livre ?
Grâce à cette odeur, j’avais réussi à parcourir quelque cinq mille kilomètres pour me retrouver en Tunisie.
À peine arrivé, je partais déjà vers Korba, pour ensuite remonter le temps « dans » les années de mon enfance. Ce voyage n’avait duré que quelques secondes.
J’avais la certitude que cette « odeur » était enfermée secrètement dans un espace. Elle m’attendait.
Je n’ai jamais rendu ce livre à mon ami, qui d’ailleurs, ne l’a jamais réclamé.
De temps en temps, j’y pique quelques recettes en espérant retrouver le transport de cette odeur si particulière. C’était peine perdue. Je n’ai plus jamais retrouvé ce déclencheur sensoriel dans d’autres préparations.
Je me souviens de cet autre souvenir olfactif qui m’avait surpris par son intensité.
Mon neveu encore enfant, était fort proche de ma mère qui le dorlotait et accédait à tous ses caprices. Il lui rendait ces attentions à travers un amour fort et inconditionnel.
Et puis un jour ma mère est partie vers un monde meilleur. Mon neveu était très certainement le plus affecté par cette disparition accélérée par une maladie chronique.
Ensuite, le temps est passé. La douleur, toujours omniprésente en nos mémoires, laissait la place progressivement à un oubli fragile.
Les choses s’éloignent, sans jamais vraiment partir.
Sept ans après sa mort, mon neveu m’avait invité à partager un repas chez lui.
Ce fut convivial et très réussi.
Un sujet en amène un autre, le décès de ma mère était venu naturellement sur la table.
– Attends, dit-il soudain empressé.
Je l’entendais farfouiller dans une armoire. Il en a ressorti un banal sac en plastique, en provenance d’une grande surface tunisienne.
Le sac était roulé en plusieurs torsions, au point de ne former qu’un cylindre enserré.
Il l’avait ouvert précautionneusement et m’avait demandé de sentir.
– Ne regarde pas ce qu’il y a à l’intérieur… Ferme tes yeux et sens !
J’ai approché mon nez de l’ouverture du sac. Je sentais une odeur familière mais que je ne pouvais préciser.
Il a refermé le sac aussitôt, en formant les bourrelets du départ.
– Mais qu’est-ce qu’il contient ?
Il souriait en me fixant des yeux.
– Le sac contient le foulard de ta mère, ainsi qu’une de ses robes. Il ne m’a jamais quitté.
J’étais sidéré !
Il m’expliquait que les objets recueillis lui parlaient. Une expiation de cette mémoire émotionnelle qui nous réconforte, au point d’atténuer la douleur, d’en faire une accompagnatrice en cas de nécessité.
J’ai appris ce jour-là, que l’homme est un véritable musée. Il collectionne des objets inanimés que sa mémoire anime.
L’odeur de ma mère dégageait une concentration temporelle, une victoire – adoucie – par rapport à la mort d’un être cher.
Il avait créé une odeur pour la préserver au fond d’un sac somme toute commun. Par cet acte de préservation, il défiait la mort, la disparition de sa grand-mère, au point de ressusciter son souvenir à chaque inhalation, à chaque déprime.
Il avait emprisonné une volatilité qui sera tôt ou tard épuisée. Pourtant, je reste persuadé qu’à chaque fois qu’il ouvrira son sac, il continuera à sentir ce déclencheur fait de molécules invisibles, dans un renouveau constant. Il ne sera plus fait d’odeur perceptible, mais bien d’une senteur indirecte que nos cerveaux ont déjà emprisonnée dans une fiole intérieure indétectable, immatérielle.
La liaison entre notre mémoire olfactive et celle émotive peut interagir dans une continuité parfaite.
Il fallait nécessairement une association entre ces objets usuels (foulard, robe et sac) afin qu’une connexion se fasse. Aussi, notre mémoire est sélective. Elle ne retient que ce qu’elle veut bien, ce qui lui est significatif.
Ce serait une torture que de se souvenir de tout. En quoi serait-il utile que je me souvienne de ma troisième journée d’école quand j’avais cinq ans et demi ?
Dans la tête de chaque être humain, il existe une panoplie de souvenirs qui varient d’intensité, d’une personne à une autre.
Nous ne possédons pas les mêmes collections. En réalité, nous sommes de véritables gardiens de musées.
Chacun expose en son for intérieur différents souvenirs d’objets.
La mémoire utile comptabilise les adresses des résidences de nos proches, leurs dates d’anniversaire.
La mémoire émotionnelle, celle collectionneuse, s’enrichit d’événements qu’elle peut même créer. Une odeur de parfum, de lessive ou bien celle d’un plat cuisiné et nous voilà en train de regarder dans ce rétroviseur qui nous amène parfois loin dans le passé, à la recherche du temps perdu.
Le goût est également un autre réveilleur.
La carte postale représentait un vieil homme assis dans un réduit d’à peine un mètre de large. Il était assis sur un petit tabouret.
Devant lui, une table basse ouvragée sur laquelle étaient déposées des sucreries. Le regard du vendeur était tourné non vers des acheteurs potentiels, mais bien vers ses douceurs comme s’il voulait y goûter d’abord, avant les autres.
Il salivait.
Ce regard m’avait poussé à acheter cette carte. Il n’en avait cure des passants. Sans le savoir, il était son premier client.
J’ai associé cette image à ce très beau texte de Marcel PROUST qui était une invite au voyage par le goût, cet autre déclencheur.
« Ma mère envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi […]. »
