Mam'zelle Vertu: Suivi d'autres contes
Par Henri Lavedan
()
À propos de ce livre électronique
Henri Lavedan
Henri Lavedan - 9 avril 1859, Orléans ; 4 septembre 1940, Écaquelon (Eure) Après s'être fait la plume dans le journalisme, il se tourna ensuite vers le théâtre, pour qui il écrivit en priorité jusqu'à la fin de la première guerre mondiale, après laquelle il choisit plus volontiers le roman. D'un style alerte et mordant, il aimait prendre pour cible les hautes sphères de la société, souvent avec la légère touche de chauvinisme alors de bon ton. Son oeuvre très abondante et populaire lui valut en 1898 le 15e fauteuil de l'Académie française, et en 1913 le brevet de Commandeur de la Légion d'honneur.
Lié à Mam'zelle Vertu
Livres électroniques liés
Tu n'es plus rien Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPierre et Jean Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne ruse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne page d'amour Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Infâme: Roman classique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Affaire Lerouge Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationHistoires magiques Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Bovary: Moeurs de province Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMadame Bovary Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Monsieur Lecoq Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Bête humaine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Auberge de la Tête Noire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Brière Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLéon Tolstoï: Oeuvres Majeures: Romans, nouvelles, essais et écrits autobiographiques — épopées historiques, analyses psychologiques et réflexions morales Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Faute de l'abbé Mouret Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChez les Goncourt: Roman policier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'inondation Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe possédé Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Habits noirs: Tome II Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMonsieur Ouine Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Espionne impériale Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa femme auteur, tome 2/2 ou les inconvéniens de la célébrité Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa femme immortelle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Cagliostro se venge Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn drame à la chasse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes duels, suicides et amours du bois de Boulogne: Seconde partie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Mystères de Paris--Tome IV Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCinq Livres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationThe Complete Works of Camille Lemonnier Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Contes de nuit Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fiction littéraire pour vous
Bel-Ami Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Le Joueur d'Échecs Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Crime et châtiment Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationOrgueil et Préjugés - Edition illustrée: Pride and Prejudice Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Conspiration des Milliardaires: Tome I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Métamorphose Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Manikanetish Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Princesse de Clèves Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Comte de Monte-Cristo: Tome I Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes impatientes de Djaïli Amadou Amal (Analyse de l'œuvre): Résumé complet et analyse détaillée de l'oeuvre Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Dictionnaire des proverbes Ekañ: Roman Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Les Freres Karamazov Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Le Double Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Possédés Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Œuvres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Père Goriot Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Peur Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Joueur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTout le bleu du ciel de Mélissa da Costa (Analyse de l'œuvre): Résumé complet et analyse détaillée de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCrime et Châtiment Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Les Rougon-Macquart (Série Intégrale): La Collection Intégrale des ROUGON-MACQUART (20 titres) Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes mouvements littéraires - Le classicisme, les Lumières, le romantisme, le réalisme et bien d'autres (Fiche de révision): Réussir le bac de français Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGouverneurs de la rosée Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Le Diable Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Une affaire vous concernant: Théâtre Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Masi Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Idiot -Tome II Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationPetit pays de Gael Faye (Analyse de l'œuvre): Résumé complet et analyse détaillée de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAntigone: Analyse complète de l'oeuvre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur Mam'zelle Vertu
0 notation0 avis
Aperçu du livre
Mam'zelle Vertu - Henri Lavedan
Mam’zelle Vertu
– I –
La boutique était étroite. Elle donnait sur l’avenue des Ternes, à gauche en partant de la place.
Sur le fond noir de la devanture s’étalaient peints en rouge ces mots : Bijouterie, Orfèvrerie, et de chaque côté en caractères plus modestes : Chotton, Horloger spécialiste, Opticien, Achats d’or et d’argent.
Au-dessus de la porte paraissait, accroché en guise d’enseigne, de façon à attirer de loin les regards du passant, un lorgnon énorme dont un verre était jaune et l’autre bleu. Derrière les vitres du magasin, alignées par rangs de taille, les montres : depuis les grosses en argent, les melons à sonnerie, jusqu’aux toutes petites, les montres-bijoux. À côté, suspendues en guirlandes, se balançaient les chaînes guillochées avec des glands et des pendeloques en filigrane, les chaînes en plaqué, les médaillons d’or portant le chiffre gravé au milieu, et puis, au-dessous, sur le rayon d’en bas, massés en ordre de bataille sur un morceau de velours passé : les boutons de manchettes en stras, les boucles d’oreilles en corail qui ont la forme de poires, les bracelets en doublé ; enfin tout en avant, dans des écrins fanés, les parures ! Turquoises maigrelettes, rubis gros comme des têtes d’épingles, et microscopiques émeraudes ; vraies rognures d’or, raclures et miettes de pierres précieuses qu’on avait l’air d’avoir utilisées vaille que vaille ainsi que des restes, pour la plus grande consolation des gens qui ne peuvent point se permettre le luxe d’un bijou complet.
Une planchette de l’étalage était réservée à l’argenterie, aux timbales, rouleaux, hochets d’enfant, pinces à sucre, truelles à poisson, tire-bouchons, couverts en ruolz, sans compter, par derrière, un peloton de réveille-matin pour les petits employés, les besoigneux qui se lèvent dès l’aube, à l’heure où les personnes riches se couchent, fatiguées de s’amuser.
À l’intérieur de la boutique, le long des murs, se dressaient plusieurs grandes horloges décorées de fleurs peintes, pareilles dans leurs gaines à des sarcophages mis debout ; et, partout, à gauche, à droite, en bas, en haut, rangées sur des planches, une quarantaine de pendules en bronze, en cuivre ou en marbre.
C’étaient des bergers offrant des nids à des bergères, Cornélie mère des Gracques, le Temps appuyé sur sa faux, Minerve avec un casque. Ou bien encore, un jeune varlet coiffé d’une toque à plumes, tenant l’étrier à une gente damoiselle prête à sauter sur sa haquenée. Il y en avait d’autres d’un style purement architectural : quatre colonnes en albâtre surmontées d’un fronton dorique, avec le cadran au milieu.
Le mobilier du magasin se composait de six chaises en chaîne cannelé, d’une petite table, et du comptoir.
Les chaises étaient réservées aux clients.
La table, exclusivement, était réservée à monsieur.
Le comptoir était occupé par madame.
Le reste de l’appartement comprenait une cuisine, une salle à manger en arrière-boutique, et à l’entresol deux chambres à coucher auxquelles on accédait par un escalier en vis, drapé de serge verte. Le loyer ne devait pas être exorbitant.
Depuis dix ans que M. et Mme Chotton s’étaient établis avenue des Ternes, ils vivotaient de la façon la plus calme en compagnie d’une grande fille pointue, Victoire Sauzade, qui leur servait de domestique. Ils étaient mariés pour de bon, n’avaient pas d’enfants, non plus d’espérance ni la crainte d’en avoir, Mme Chotton étant stérile.
Orphelin de très bonne heure, Théophile Chotton avait été charitablement recueilli par un parent éloigné, et mis dans un patronage. Sa jeunesse fut souffreteuse et maussade.
Tout petit il était déjà laid, excessivement laid. Cela l’avait pris en venant au monde ; depuis, il continuait. D’un blond d’argent, presque albinos, des yeux toujours malades bordés de bourrelets, rouges comme des gencives, et presque toutes les dents gâtées. Il fut malheureux, et c’était bien sa faute. À Paris, on n’aime que les enfants mignons. Les grandes personnes se détournaient à sa vue en faisant la grimace ; les petits garçons de son âge ne voulaient pas jouer avec lui.
Vaguement il se rendit compte qu’il avait tort, et il essaya de se rendre un peu moins hideux en se lavant plus souvent les mains et en se mettant de la pommade. Rien n’y fit. Une fatalité pesait sur lui. Il passait ses journées entières à pleurer dans les coins, ce qui ne l’embellissait guère. Il était doux, studieux, travaillait mieux que tous les autres, et ses professeurs étaient contents de lui, très contents de lui ! Seulement, ils disaient : « Mon Dieu, quel dommage que ce gamin soit si laid !... À quoi diable pensait sa mère quand... »
À quinze ans, Théophile perdit l’appui et la protection de son parent. Cet honnête homme, sans s’y attendre, hérita brusquement d’une fortune énorme – deux millions ; il dut s’occuper dès lors de ses intérêts, gérer son bien, et, comme on ne peut malheureusement pas tout faire, il eut le regret de ne plus donner signe de vie à son petit protégé.
Le jeune homme gagna bientôt ses vingt-et-un ans. Il était timide comme un lézard, rangé comme une sœur tourière. M. l’abbé Verlaine, directeur du patronage où il avait été élevé jusqu’à ce jour, s’occupa de lui trouver un état. La chose n’était pas aisée, mais l’abbé se souvint qu’en différentes circonstances, l’enfant avait montré de réelles dispositions pour la mécanique. En effet, Théophile, tout gringalet, errant par les rues, n’avait qu’un plaisir, c’était de s’arrêter aux devantures des horlogers. Derrière la vitre, quand le patron, penché sur sa table, l’œil collé à sa grosse loupe, disséquait, avec une minutie chirurgicale, les entrailles des pendules éventrées, ou bien, à l’aide de pinces recourbées et d’instruments fins comme des aiguilles, détachait avec précaution les rouages des montres délicatement ouvrés, pareils à de la dentelle d’or, Théophile regardait, avec intérêt, pendant des heures, et les horlogers du quartier connaissaient de longue date cette tête chafouine et souffrante qui venait se coller aux carreaux.
Par l’influence de l’abbé Verlaine, il entrait comme commis et second chez M. Crépussin, qui tenait une boutique de bijouterie avenue des Ternes, n° 32. M. Crépussin, un vieux rageur, crochu, haut comme une botte, très rouge avec des cheveux très blancs, coiffé d’une calotte de velours noir bordée d’une grecque en soie, rappelait assez exactement ces bonshommes confectionnés avec des pattes de homard.
Il était veuf avec une fille unique, Octavie, jeune personne mafflue et fière tirant sur la trentaine, qui faisait marcher la maison.
Théophile restait là cinq ans, prenant goût à l’horlogerie, sachant flatter la pratique, ayant le sentiment de la vente, mais gardant encore un vieux levain d’honnêteté – ce qui ne vaut pas grand’chose dans le commerce, satisfaisant malgré tout son patron, et vivant presque sur un pied d’égalité avec Mlle Octavie qui le toisait de haut en bas, tandis que lui osait à peine la regarder de bas en haut.
Un dimanche soir, en revenant de faire sa promenade accoutumée sur le talus des fortifications, M. Crépussin se prit de querelle avec un marchand de marrons, qui avait essayé de lui couler une pièce fausse de cinquante centimes sur un franc, et il tomba raide, frappé d’une attaque d’apoplexie.
L’enterrement fut très convenable. Toute l’horlogerie des Ternes était là, et même la présence d’un gros bijoutier de la rue Bleue fut très commentée.
Jusqu’au cimetière, à pied, Théophile suivit le convoi non loin d’Octavie suant et soufflant. La boutique resta close toute la journée ainsi que le lendemain.
Et de midi à sept heures, les voisines vinrent chacune à leur tour, histoire de manger le temps, lire l’inscription que Théophile avait écrite en belle cursive et collée sur un des auvents : Fermé provisoirement pour cause d’obsèques, sans compter les autres jours de fêtes, et les dimanches.
– II –
Une fois qu’on eût bien installé défunt Crépussin père à Montparnasse, de façon à ce qu’il ne manquât de rien, les choses reprirent leur ordre accoutumé.
Théophile passait au magasin ses journées entières, de huit heures du matin à neuf heures du soir. Aussitôt arrivé, il se débarrassait de son paletot et de son feutre, et se mettait immédiatement à sa petite table. Il y travaillait en silence sans se déranger. Il s’était entendu avec le marchand de vin d’en face, et sur le coup de midi, un garçon, suant sous un linge mou imbibé de sauce, lui apportait avec vivacité, dans une serviette nouée, les trois portions de son repas, plus une demi-Mâcon.
À midi un quart, Mlle Octavie faisait son apparition. Sa voix était douce et grasse :
« Monsieur Théophile va bien ?
- Très bien, et vous, mademoiselle ?
- Pas mal, répondait-elle, et... monsieur Théophile a déjeuné ? »
Elle avait l’habitude invétérée de parler à tout le monde à la troisième personne, ce qui lui donnait aux yeux des gens qui la fréquentaient un air embarrassant de grande dame.
Elle se casait ensuite derrière son comptoir. Cette manœuvre lui prenait quelques instants. Enfin, quand elle avait triomphé des dernières difficultés, elle se renversait en suffoquant dans son fauteuil d’acajou, dont les jointures en souffrance se plaignaient, et, ses deux mains jointes sur sa poitrine gonflée qui s’avançait comme pour leur servir de reposoir, souriait, béate, en promenant ses regards tout autour d’elle.
Elle restait ainsi, éternellement, ses dix doigts entremêlés, n’ouvrant jamais un livre, ne tenant même pas une tapisserie ou un ouvrage au crochet, communiquant aux autres un immense et colossal ennui au-dessus duquel elle semblait planer, très haut.
Son inertie physique et intellectuelle était devenue peu à peu la seule occupation dont elle fût capable.
Pendant le mois qui suivit la mort de son père, elle reçut de nombreuses visites d’amies ou de voisines.
À chacune il fallut redire les derniers moments du pauvre homme, comme il était changé déjà quand on l’avait rapporté ! Combien c’était cher à Paris, pour être enterré agréablement ! Elle donnait tous les détails sans se faire tirer l’oreille, le prix total des frais à l’église – sans orgue, bien entendu, avec orgue on ne sait pas où on va – les pourboires des croque-morts, la maison de confections où on l’avait écorchée pour son deuil.
Et à chaque personne qui venait, en passant, lui dire un petit bonjour, lui exprimer ses condoléances, elle recommençait avec un nouveau plaisir.
En dehors de ces visites, la vie de Théophile et d’Octavie n’était traversée que par les entrées et les sorties des clients qui se hasardaient, après des hésitations et des perplexités de plusieurs semaines, à tourner le bec de canne du magasin.
C’était la bouchère qui faisait enchâsser dans une broche la tête carrée de son homme ; une jeune femme malingre et fanée qui payait en pièces de cent sous toutes neuves un petit hochet d’enfant ; ou parfois des paysannes en bonnet fin et en châle à pointe qui, très dignes et la bouche pincée, venaient essayer des alliances guillochées. Après, on avait toutes les peines du monde à retirer les bagues de leurs gros doigts rouges : « Mouillez ! mesdames... mouillez !... » conseillait Octavie. Alors, elles s’introduisaient la main jusqu’au fond du gosier, au risque de se faire vomir. Finalement, elles se décidaient pour un simple anneau de cornaline.
Quand sonnait sept heures, Théophile passait au fond de la salle à manger en compagnie de mademoiselle, et ils dînaient l’un en face de l’autre. Si, pendant le repas, quelqu’un entrait au magasin, c’était toujours Théophile qui, la bouche essuyée à la hâte, se dérangeait.
Le dîner durait de vingt-cinq à trente minutes. Ils parlaient peu. Octavie avait coutume de répéter qu’on se mettait à table pour manger, non pour « discourir », et Théophile était trop timide pour oser, le premier, engager la conversation.
Ils restaient donc silencieux. Il avait mille attentions pour elle, lui versait à boire, lui présentait le plat, le tenait penché pour qu’elle pût aisément prendre toute la sauce, se levait pour lui couper du pain. Elle disait avec un sourire blanc : « Monsieur Théophile est d’une amabilité... » puis se taisait.
Quand ils avaient fini, ils pliaient leur serviette, chacun différemment, et rentraient au magasin, tandis que rose, une petite bonne de vingt-deux ans, sournoise et mal peignée, desservait en traînant ses savates.
Octavie se remettait dans son fauteuil d’acajou, les bras croisés, les yeux au plafond ; et Théophile à sa table surchargée de montres, prêtes pour l’autopsie. On n’entendait que le chuchotement discret et continu de la lampe à gaz, reliée au mur par un long tuyau de caoutchouc, et sous l’abat-jour vert de laquelle il s’absorbait dans la pénétration intime des trous à rubis et des cylindres à échappement.
À neuf heures, avec un terrible bruit de ferraille, Rose fermait au dehors, mettait les volets, posait les clavettes. Alors Octavie ronronnait de sa voix douce et toujours égale : « Monsieur Théophile va se coucher... Monsieur Théophile doit être bien fatigué... Il a les yeux battus. »
Lui rangeait sa chaise le long du mur, enfilait son paletot, et, son chapeau à la main, obligé pour sortir de se baisser sous le portillon, il murmurait, ployé en deux, presque à quatre pattes, dans une posture de chimpanzé : « Bonne nuit, et à demain, mademoiselle ! »
En une minute il était rendu à l’Hôtel des Quatre-Coins-Cardinaux – vingt-cinq francs par mois, on paye d’avance.
Une fois dans sa chambre, dès qu’il avait frotté une allumette, il tirait le verrou, joignait les mains devant sa glace, en se regardant, et les larmes aux yeux, tous les membres secoués par une émotion trop longtemps contenue, s’écriait :
« Dieu de Dieu ! que je l’aime ! »
– III –
Deux mois après, il l’épousait.
Il lui avait demandé sa main, un soir, à table, tout en mangeant des œufs à la neige, et elle avait immédiatement consenti. Puisqu’ils vivaient ensemble,
