ALORS
QU’IL SE PROMÈNE à l’aube dans une banlieue paisible de Las Vegas, fin septembre dernier, Duane Davis ne ressemble pas à l’idée qu’on se fait d’un gangster de légende. Sexagénaire chauve en T-shirt Polo Sport blanc et pantalon large, il a l’air de Monsieur Tout-le-Monde qui fait de l’exercice pour lutter contre les ravages du temps. Sa rêverie est interrompue quand des hommes de la “Metro” – la police métropolitaine de Las Vegas – l’approchent à bord de véhicules banalisés. “Eh, Keffe, police, lance l’un d’eux. Viens ici. J’apprécierais ta coopération.”
“Armé” d’un téléphone portable et d’une bouteille d’eau, Davis obéit sans broncher. Il s’y attend depuis qu’en juillet, la police a exécuté un mandat de perquisition chez lui pour trouver des preuves de l’assassinat de la superstar du rap, Tupac Shakur, en 1996. Son long passé criminel fait que Davis connaît la musique. Il demande pourquoi la police n’a pas invité les médias et, une fois menotté, quand un des agents veut l’aider à monter dans le véhicule, il lance: “J’ai l’habitude.”
Quand le policier en uniforme assis à l’arrière, à côté de lui, demande à Duane Keith “Keffe D” Davis – dealer majeur, habitué des pénitenciers et leader d’un gang des South Side Compton Crips – s’il sait pourquoi il est là, il répond: “Pour le plus gros crime de l’histoire de Las Vegas… Le 7 septembre 1996.” “Ça leur a pris du temps”, remarque le policier. “Ça ne m’a pas inquiété,” rétorque Davis. “C’est à ça que sert le tribunal, non ?” conclut le policier.
Désormais accusée d’homicide aggravé en raison de son lien à un gang, l’autoproclamée “légende de Compton” se prépare à un procès à Las Vegas, annoncé pour le 3 juin. Des retards sont prévus: deux avocats nommés par la cour ont à étudier des montagnes de documents liés à un crime qui a nourri de multiples théories du complot, avec une foule de suspects potentiels. L’acte d’accusation du 28 septembre décrit Davis comme l’organisateur et celui qui a fourni l’arme utilisée dans la fusillade lors de laquelle Tupac est mort, et Marion “Suge” Knight, parrain de Death Row Records, a été blessé.
Dans une conférence de presse après l’arrestation, le lieutenant Jason Johansson a expliqué : “Ce n’est qu’en 2018 que l’enquête a repris grâce à de nouvelles informations liées à l’homicide, en particulier les aveux de Duane Davis sur sa participation à l’affaire, qu’il a livrés à de nombreux médias.” Pendant près de trente ans, les enquêteurs ont réuni beaucoup de témoignages montrant que Davis était l’instigateur du crime, mais, précise Johansson, “nous n’avons jamais eu les preuves nécessaires pour relancer la procédure”.
Les accusations contre Davis semblent toutefois plus émaner de lui que d’un travail d’enquête acharné. Il a en effet accordé des interviews pour des séries et des documentaires, et publié, en 2019, des mémoires qui contiennent des déclarations potentiellement “incriminantes”, faites devant le grand jury du comté de Clark. Il y admet l’existence d’un accord d’immunité fédéral signé en 2009 dans le cadre d’une enquête sur un trafic de stupéfiants à L.A., où il reconnaît son rôle dans l’assassinat