Un grand couloir sombre mène à une petite pièce couleur crème. À l’intérieur, sous la lumière blafarde des néons, un septuagénaire en col roulé s’affaire autour d’un vieux journal. Pas seulement vieux : historique. Une édition de Ukraïna publiée le 25 mai 1920, lors d’une guerre civile qui a vu l’avènement puis la chute d’une République populaire d’Ukraine indépendante de la Russie. « Cela fait trois ans que dure la guerre pour la libération de notre patrie. Durant ce temps, les enfants fidèles à la patrie ont fait preuve de leur amour pour leur pays, parfois au prix de leur vie. Ces gens-là, avec leur sang et leur travail, ont posé les fondations d’un État ukrainien indépendant », peut-on lire sur la une jaunie par les décennies.
« On dirait que l’histoire se répète, sourit Oleg Petrenko en réajustant ses lunettes épaisses qui lui donnent des yeux de hibou. Chaque fois que je numérise un journal ou un livre, je ne peux pas m’empêcher de parcourir les pages et de me plonger dans ses mots. » Employé de la bibliothèque nationale d’Ukraine depuis vingt-cinq ans, ce natif de Kiev s’attelle cinq jours par semaine à numériser des archives à l’aide d’un scanneur allemand datant d’une époque où un mur coupait encore Berlin en deux. Une tâche qui lui sied parfaitement, lui qui, avant ça, a travaillé pendant vingt ans comme photographe dans une usine soviétique de production d’équipements militaires. Il préfère cependant rester évasif sur cette première carrière. L’usine, encore en fonction, a été mise à contribution de l’effort de guerre depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022. C’est donc tout naturellement qu’il a décidé de mettre ses compétences de photographe au service du département de numérisation.