La littérature se nourrit elle-même. Les écrivains d’hier deviennent les héros des romans d’aujourd’hui, les auteurs d’aujourd’hui écrivent sur leur rapport aux écrivains d’hier. L’année 2023 nous en a donné deux exemples, couronnés de succès, avec Laure Murat et Dimitri Kantcheloff. L’une parle de Marcel Proust, l’autre, de Boris Vian. Les similitudes s’arrêtent là: tandis que Kantcheloff s’inscrit. Le canular fonctionne au-delà de ses espérances. Au risque de lui attirer des ennuis avec les autorités, sourcilleuses sur les questions de mœurs, et de lui donner le sentiment d’être vampirisé par sa créature. Sullivan n’est-il pas devenu un problème au lieu d’un jeu? Avec son style tonique, Dimitri Kantcheloff évite l’écueil de la biographie déguisée où sombrent tant de romans du même genre. Plein de verve, son ressuscite l’univers du Saint-Germain-des-Prés de 1950, avec ses cafés, ses boîtes de jazz et ses philosophes qui fument la pipe. Surtout, il propose un beau portrait du jeune Vian, détonnant par rapport à la légende qui accompagne aujourd’hui le personnage: c’est alors un garçon surdoué, ambitieux, mais tenaillé par le doute, torturé, dépressif, en proie à des comportements destructeurs dont l’affaire Sullivan, peut-être, fut un symptôme… Écrire sur un écrivain, c’est aussi compliquer son image, et même écorner le mythe!
