Printemps 2018: Mohammed VI, commandeur des croyants, prend la pose non sur son trône doré, mais sur un canapé, côte à côte avec un homme musclé en vêtements de sport. On dirait des amis de colonie de vacances, tout sourire. Ce cliché Instagram étonne dans un royaume fier de ses traditions, mais moins que la personnalité de ce nouveau proche du monarque: Abu Azaitar, 32 ans, est un ancien détenu allemand, et un champion d’arts martiaux mixtes (MMA).
Depuis son installation au Maroc en 2018, son compte Instagram très blingbling fait frémir l’élite du régime, avec ses voitures criardes et la familiarité avec laquelle il parle de Mohammed VI, alors quinquagénaire: « Notre cher roi, a-t-il écrit en légende d’une photo les montrant ensemble, je ne pourrai jamais assez le remercier pour tout ce qu’il a fait pour nous. »
Le Maroc passe pour une réussite dans le monde arabe. Son industrie automobile est florissante, les touristes occidentaux affluent dans ses charmants souks médiévaux et se détendent dans ses paisibles riads. Le pays concentre tout le charme du Moyen-Orient, sans ses troubles. Mais les 37 millions de Marocains font eux aussi face aux problèmes qui bouleversent le monde arabe depuis plus de dix ans: chômage, inflation, autoritarisme. Jusqu’à présent rien de tout cela n’a entraîné de soulèvement, notamment parce que le roi a mis en oeuvre des réformes constitutionnelles au moment où le printemps arabe battait son plein, en avril 2011. Mais les troubles pointent à l’horizon, et le roi est pratiquement invisible.
Depuis 2018, Abu Azaitar et ses deux frères monopolisent l’attention du monarque. Mohammed n’est pas seulement distrait. Il est souvent carrément absent. Il a toujours aimé voyager et partir en vacances, mais depuis qu’il a rencontré les Azaitar, c’est beaucoup plus manifeste. Parfois il s’isole avec la fratrie dans la campagne marocaine. Ou leur groupe s’échappe en vacances en Afrique de l’Ouest. Mais quand ils se lassent du Gabon – « on s’ennuie tellement, il y a la plage et rien d’autre à faire », se lamente l’un d’eux –, ils montent à Paris. Un ancien responsable estime que le roi a passé 200 jours hors du pays l’année dernière.