Ce matin, Zadie Smith m’emmène au cimetière. Celui de Kensal Green, soit le plus étendu de Londres. “Prête à s’abîmer les mollets ?”, s’enquiert l’écrivaine, alors que nous quittons les sages allées de la nécropole pour frayer dans les buissons environnants. Je suis surtout inquiète pour elle, puisqu’elle est vêtue d’une salopette-short et d’une veste noire – de chez Walmart, précise-t-elle – et chaussée de sandales éprouvées par le temps. La littérature me pardonnera-t-elle d’avoir laissé l’une de ses plus grandes romancières se tordre la cheville, tout ça par amour pour les pierres tombales en friche ?
À 47 ans, Zadie Smith a dissipé l’image d’ingénue un brin condescendante qui lui collait à la peau depuis ses débuts voici plus de vingt ans, lorsqu’elle a publié Sourires de loup (White Teeth en vo). Ce qui frappe aujourd’hui chez elle, c’est son visage léonin et son regard qu’on devine perçant malgré d’énormes lunettes noires. Elle a aussi troqué son bandeau fétiche pour des tresses rehaussées d’anneaux en or. De jeune artiste touchée par la grâce, elle a muté en ce genre de tantine cool qu’on croise dans les épiceries bios.
Sous un soleil londonien étouffant, on oublie volontiers qu’elle a remporté moult prix littéraires, dont le Women’s Prize for Fiction, et qu’elle a été nommée deux fois pour les Granta du meilleur romancier, avant de n’être plus en âge d’y concourir. “Ça me rend très triste de vieillir, déclare-t-elle sans la moindre once de tristesse dans la voix. Mais j’essaie d’encaisser.” a été listé par le comme l’un des 100 meilleurs romans du siècle dernier – pas mal pour une autrice qui sortait tout juste de l’université. Ses écrits de non-fiction ont été publiés dans le , ou , ce qui n’est pas pour lui, qui changera totalement votre regard sur le film.) “Parmi les romanciers britanniques, personne d’autre qu’elle n’a eu autant d’influence sur moi”, me confie par téléphone son ami et confrère Caleb Azumah Nelson, qui ajoute : “Il m’arrive très souvent d’être soufflé par ses tournures de phrases.”
