ÇA S’EST PASSÉ dans la soirée du 27 novembre 1969: les deux plus importantes femelles alpha du rock, les reines du genre selon la critique et le public unanimes, se sont produites ensemble devant 20000 personnes sur la scène du Madison Square Garden de New York. Les Rolling Stones en tête d’affiche avaient choisi la Revue d’Ike & Tina Turner pour assurer leur première partie. Janis Joplin, qui avait récemment couvert Tina de louanges lors d’un talk-show à la télé américaine (“C’est ma préférée – la nana la plus géniale qui soit. Une chanteuse fantastique. Une danseuse fantastique. Un show fantastique.”), avait mis un point d’honneur à se trouver au plus près de la scène pour assister au concert, en principe en simple spectatrice. Mais elle était aussi extrêmement défoncée, désinhibée et excitée au point de se frayer un passage sur scène et de surgir brusquement de derrière les amplis pour rejoindre Tina au micro. N’importe qui d’autre se serait fait éjecter dans la minute, mais la superstar Joplin, qui accumulait alors les disques de platine, fut la bienvenue et se vit encouragée à participer. Durant les trois minutes suivantes, le duo rugit dans le même micro une version frénétique du “Land of a Thousand Dances”, de Wilson Pickett.
UNE VERSION audio de cette reprise existe sur YouTube. Tina assure l’essentiel des vocaux, tandis que Joplin – ravie de pouvoir simplement côtoyer son idole – se contente de placer opportunément quelques cris stridents et d’harmoniser sur les refrains. Malgré son caractère fascinant, la prestation n’est pas la secousse sismique à laquelle on pourrait s’attendre. Mais les photos de l’événement racontent une autre histoire. Joplin comme Turner y apparaissent extatiques et déchaînées, comme invincibles: elles incarnent le duo ultime annonciateur des temps futurs, quand les femmes prendraient le pouvoir dans la musique.
Sauf qu’un an plus tard, Janischanteuse qu’elle n’était autre que la réincarnation de la souveraine Hatchepsout, l’une des premières femmes pharaons de l’Égypte antique. Turner souscrivit volontiers à cette assertion qui, combinée à son adhésion au bouddhisme, la porta tout au long de son existence, comme son talent fut le pilier de sa carrière.