’est au Moulin de la Galette. Dans le rôle de Brett Sinclair, l’aristocrate distingué joué par Roger Moore, on trouve Edgar Degas, né “de Gas”, fils de famille richissime; dans celui de Danny Wilde, le self-made-man blagueur, Édouard Manet, fils de hauts fonctionnaires qui auraient. Quand le premier visite ses propriétés de Louisiane, le second attrape la syphilis dans un port de Rio où son bateau-école a fait escale. Degas apprend la peinture aux Beaux-Arts, Manet prend ses cours de nu à l’atelier de Thomas Couture. Ce dernier triomphe dans les salons pendant que l’autre se renferme progressivement dans son atelier… Pourtant, ils vont être amis. C’est au Louvre, où ils copiaient tous les deux les maîtres anciens, qu’ils ont le coup de foudre l’un pour l’autre. Degas et Manet ont voyagé en Italie, fréquenté le salon des sœurs Morisot, fait la guerre de 1870 dans le même régiment, peint aussi les mêmes sujets: scènes de café, courses de chevaux, tubs… Ils ont surtout réinventé ensemble le réalisme en art, à la même époque que Flaubert et Zola. C’est dans la peinture, plus encore que dans la vie, qu’on mesure combien ces deux-là furent inséparables et rivaux. Il est parfois difficile de dire qui a peint quoi sur les cimaises du musée d’Orsay qui raconte leurs destins croisés. Les brouilles qui les éloignèrent sans cesse l’un de l’autre ne sont pas oubliées (il faut imaginer que Manet a déchiré un portrait que Degas avait fait de lui, mécontent du traitement de sa femme). Aujourd’hui, Manet repose au cimetière de Passy, Degas à celui de Montmartre. La mort a finalement séparé ceux que la vie avait réunis. Cette exposition a la bonne idée de les ressusciter bras dessus, bras dessous, pour notre plus grand plaisir. (MA)
