CE POURRAIT ÊTRE UNE NOUVELLE CHANSON de Pink Floyd, si le groupe existait encore autrement qu’en souvenir ou en joint-venture tout juste cordiale. David Gilmour surplombe un rack d’équipement dans sa luxueuse péniche transformée en studio aux abords de Londres. Il attaque une progression d’accords sur une vieille 12-cordes Martin tout en murmurant une mélodie mélancolique. “Je fais ça à l’aveugle, comme ça vient”, lance-t-il tout en continuant à jouer. À travers la vitre derrière lui, la Tamise ondule sous un ciel gris et automnal avant l’heure. “Il y a quelques années, poursuit Gilmour de son accent britannique à la fois snob et cassant, mâtiné d’un joli sens de l’euphémisme, je faisais la même chose dans la régie no 3 à Abbey Road et voilà ce qui en est sorti.” Il entame alors la cinglante intro de “Wish You Were Here”: “Elle fut écrite et jouée sur cette guitare. Bref, vous devriez faire gaffe si quelque chose en sort à nouveau.”
“Wish You Were Here” est un cas à part dans l’histoire de Pink Floyd, l’une des rares collaborations en tête-à-tête dans l’écriture – et à la réussite incontestable – entre Gilmour et Roger Waters, qui était à la fois bassiste, parolier et force créatrice du groupe à l’époque de ses plus grands succès. “Roger a dit: ‘Y a quelque chose, là; j’ai une idée pour ça’ et il a écrit le refrain et les couplets, ainsi que les textes, d’une seule traite”, se souvient Gilmour.
Même s’ils partagent le crédit sur “Comfortably Numb”, autre grand classique du Floyd, Gilmour et Waters n’ont jamais formé une équipe de compositeurs solide et complémentaire à la Lennon-McCartney. Un Waters qui disait ainsi à Rolling Stone, en 1987, peu de temps après son violent divorce d’avec le groupe: “Nous ne sommes jamais parvenus à une perception commune de la dynamique qui devait exister au sein du groupe, de qui faisait quoi et si c’était juste ou pas.” Bien des années plus tard, ces interrogations demeurent étonnamment pesantes, sans être vraiment tranchées.
Les relations au sein du groupe ont néanmoins suffisamment gagné en civilité pour que Gilmour, Waters et le batteur Nick Mason consentent, il y a quelque vingt années déjà, à un effort qui pourrait bien être le dernier consenti en commun: une vaste opération de réédition, portant sur l’intégralité de la discographie du Floyd. Pour l’occasion, chaque album a été remastérisé, et les trois plus populaires – The Wall, en 1979, Wish You Were Here, en 1975, ainsi que le chef-d’œuvre écoulé à plus de 40 millions d’exemplaires, The Dark Side of the Moon, en 1973 – proposés en coffrets Deluxe, avec chutes de studio oubliées de longue date, enregistrements live et vidéo. “Nous faisons une croix sur notre ligne de conduite ‘pas assez digne pour voir le jour’, qui voulait que rien ne sorte que nous considérions être de niveau inférieur, expliquait Gilmour. Tout ce qui existe va sortir d’une façon ou d’une autre.”
Pour fêter ces rééditions, Gilmour, Mason et Waters avaient accepté de parler à bien que séparément. s’était esclaffé Mason, faisant référence au concert caritatif de 2005 et dernière performance du line-up complet du groupe, avec la présence et de Pink Floyd. avance-t-il.