Impossible de dormir. Le 24 février 2022, Étienne de Poncins ouvre les yeux vers 4 heures du matin. Premier réflexe, consulter le téléphone. Des dizaines de messages s’affichent. Cette fois, les Américains sont affirmatifs : l’attaque doit avoir lieu cette nuit. L’ambassadeur s’approche d’une grande baie vitrée. Du haut du 22e étage de sa résidence, il peut profiter d’une vue plongeante sur Kiev. Au loin, quelques fumées rougeâtres. À part ça, aucune agitation particulière. La guerre a-t-elle commencé ? Depuis six mois, le diplomate accumule les renseignements inquiétants. Il y a encore dix jours, les États-Unis ont délocalisé leur ambassade à Lviv, dans l’ouest du pays, avant d’être imités par les Allemands.
À 5 h 08, nouveau message d’un collègue. « Je viens d’entendre des explosions. » Plus de doute. Le pire se dessine. La Russie ne vise pas seulement le Donbass, région de l’Est disputée depuis 2014. Mais aussi tout le pays, dont la capitale. Étienne de Poncins a compris : en attaquant Kiev, les Russes vont chercher à décapiter le pouvoir ukrainien. Et lui réside à 150 mètres du palais présidentiel. Placide comme à son habitude, il pianote un SMS à l’adresse de son équipe : « Tout le monde se regroupe à l’ambassade. »
Près d’un an plus tard, Étienne de Poncins me montre cette même chambre via son téléphone.
Une décoration minimaliste, des murs dénudés – les tableaux ont été placés en sécurité dans les sous-sols de l’ambassade – et cette vue sur Kiev. De haut, la ville semble bien paisible. « 95 % du temps, la guerre n’est pas perceptible. Les magasins sont approvisionnés, il y a du monde dans les restaurants. » Il marque un silence : « Et puis vous voyez un enterrement. Ou des militaires à la station essence, en partance pour le front. » Parfois des sirènes stridentes annoncent l’arrivée d’un potentiel missile. En cas d’alerte, me prévient le diplomate, des hommes du GIGN postés derrière la porte devront l’escorter vers un lieu sécurisé.
Le chien de Ceaucescu
En novembre 2022, ce grand échalas (XO éditions). Un récit personnel, presque un roman d’aventures dans lequel il raconte comment il est devenu l’un des rares diplomates occidentaux restés en Ukraine. Mais ce petit succès d’édition (10 000 exemplaires vendus) a fait tousser au Quai d’Orsay, où l’on évoque même une grossière erreur de communication. « On lui reproche surtout d’avoir tiré la couverture à lui », rapporte un agent. « Le côté “je la joue flegmatique, en me servant du thé sous le blitz” a agacé », décrit un autre. Étienne de Poncins a peut-être oublié une maxime ressassée au Quai d’Orsay : un bon diplomate est un diplomate dont on ne parle pas. Mais difficile de se taire quand une carrière croise, un jour, la marche de l’histoire.