« Par un pluvieux soir d’automne, l’oreille collée au téléphone, j’essaie de ne pas perdre une seule miette des conseils experts que me prodigue généreusement mon interlocuteur varois. De son bel accent chantant, Bernard Bideau,, un des plus gros producteurs de bulbes de renoncules du monde, m’éclaire sur l’itinéraire technique de la culture de cette fleur hivernale, produite avec fierté dans le sud de la France. Je le sais, j’appelle beaucoup trop tard: c’est en été que j’aurais dû préparer ma commande, et en même temps, j’appelle exactement à la bonne heure, car j’ai la chance de pouvoir discuter avec lui, le dernier à quitter le bureau ce soir-là. Je l’écoute et je comprends que je n’ai pas l’infrastructure idéale pour cultiver ses Bien que ce nom signifie “petite grenouille” en latin, cette espèce-ci n’aime pas vraiment l’humidité, dans laquelle elle devient vulnérable à de redoutables moisissures aux noms de héros antiques: C’est que la famille des renonculacées est vaste; certains de ses membres aiment la vie marécageuse. Mais la “renoncule des fleuristes”, originaire d’Asie centrale, ne supporte pas l’eau stagnante et aime vivre protégée des fortes pluies: des conditions que je ne peux que difficilement lui offrir dans ma petite ferme florale parisienne. J’essaie pourtant, parce que ses denses pétales de soie froissée sont des merveilles de délicatesse, mais aussi parce qu’elle pourrait faire partie des premières fleurs à éclore au champ, juste au sortir de l’hiver. Mais face à l’expertise varoise, je me range: en France métropolitaine, ce sont les floricultrices et floriculteurs de la Côte d’Azur qui sont les mieux placés pour produire ces fleurs, qui illuminent les étals des fleuristes si justement à temps pour la Saint-Valentin, pour la plus solaire et la plus douce des alternatives aux roses importées de l’autre bout de la planète. Et de mon côté, dans ma grisaille parisienne, je planterai une de ses modestes petites-cousines: le un bouton d’or double, pour l’amour des petites grenouilles. »
