Le coup d’envoi de cette mobilisation féminine est donné en mars 1890. Cette année-là, Nasir al-Din Chah, quatrième monarque de la dynastie autocrate Qadjar au pouvoir depuis 1786, cède au britannique G.F. Talbot une concession garantissant le monopole de la production et du commerce du tabac pendant cinquante ans. En cette fin de XIXe siècle, le vieil empire de Perse est littéralement dépecé, livré aux Russes et aux Britanniques par le jeu des concessions. Celle sur le tabac doit assurer au souverain une annuité de 15 000 livres et une redevance du quart des profits. Mais il récolte surtout la colère du peuple et d’une partie de la classe dirigeante qui l’accusent de brader le pays aux étrangers. La révolte s’amplifie avec le ralliement du clergé chiite. À l’automne 1891, une fatwa qui condamne l’usage du tabac sera très suivie, y compris par les femmes. «C’est la première fois qu’elles prennent une part active dans un mouvement social, relève Azadeh Kian, professeure de sociologie et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes (Université Paris Cité). À Téhéran, même les princesses et concubines du harem impérial refusent de servir le narguilé au roi.» Acculé, Nasir al-Din Chah annule la concession le 26 janvier 1892. Ultime humiliation, il doit contracter un emprunt russe pour rembourser l’argent reçu – et déjà dilapidé pour assurer son train de vie et celui de sa cour –, grevant un peu plus les finances désastreuses du pays.
NATIONALISME PROGRESSISTE
Cette « révolte du tabac » va initier une période de contestation (“Maktab”) », précise Azadeh Kian. Les embryons de réformes lancés par Nasir al-Din Chah sont bien insuffisants pour calmer les esprits. Et son assassinat, le 1 mai 1896, plonge un peu plus la Perse dans l’instabilité. La politique pro-européenne de son fils Mozaffar al-Din, qui lui succède, exacerbe les ressentiments. Le pays devient une poudrière prête à exploser. L’étincelle va jaillir du bazar et de ses marchands, en proie à de graves difficultés économiques. En 1905, dans tout le pays, éclatent des insurrections populaires auxquelles les femmes participent massivement. Leurs demandes? Le respect de l’intégrité territoriale, l’adoption d’une constitution garantissant la participation du peuple aux prises de décision, une liberté politique, plus de justice sociale… « pointe Azadeh Kian.
