haque année, les paris vont bon train. L’attribution du Pritzker Prize agite le milieu et déchaîne les passions. Après avoir couronné des « starchitectes » pendant fort longtemps, le jury a pris depuis quelques années des risques – mesurés – pour tenter de pallier le manque de diversité qui lui était régulièrement reproché. Rappelons qu’il a fallu attendre 2004, soit vingt-cinq années après la création du prix par a-t-il résumé avec l’humilité qu’on lui connaît. Était-il donc le seul à ne pas se douter qu’il figurait sur la liste des grands favoris? Francis Kéré est né en 1965, au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres du monde, à Gando, petit village dépourvu d’école. se souvient-il. Il quitte sa famille à l’âge de 7 ans pour entamer sa scolarité à une quinzaine de kilomètres, entre les quatre murs d’une construction médiocre et mal ventilée où l’enfant qu’il est étouffe de chaleur. Une expérience qui posera les jalons de sa vocation. Il se fait en effet la promesse d’améliorer, un jour, les conditions d’apprentissage des élèves africains. En 1985, à la faveur d’une bourse d’étude, il s’établit en Allemagne où il suit, dans un premier temps, une formation de charpentier. S’il devient officiellement architecte en 2004 après un diplôme obtenu à la Technische Universität Berlin, il construit son premier projet en 2001 alors qu’il est encore étudiant: une école à Gando, augmentée par la suite d’une extension, d’une nouvelle bibliothèque et de logements pour les enseignants. Un projet fondateur qui augure la manière dont il envisage son métier d’architecte, notamment sa capacité à corriger les inégalités sociales. Car chez Kéré, l’architecture est tout sauf un acte isolé et déconnecté de la réalité. Elle se caractérise à l’inverse par une approche participative où le Germano-Burkinabé construit pour et avec les habitants. Le jury a ainsi résumé sa philosophie: Naturalisé allemand, il crée son agence à Berlin en 2005. Si l’essentiel de sa production se trouve en Afrique (Burkina Faso, Kenya, Mozambique, Ouganda), il construit également ailleurs. Pour autant, l’Afrique reste son port d’attache, son terrain d’engagement. Un pied sur chaque continent, Francis Kéré n’a jamais cherché à singer l’architecture occidentale. Les matériaux locaux et les mises en œuvre traditionnelles ont sa préférence. Du bon sens, rien que du bon sens. Un retour aux sources parfaitement dans l’air du temps (une architecture sobre et frugale) que le Pritzker Prize n’a pas manqué de mettre en lumière. Si le storytelling est effectivement parfait, ce cru 2022 récompense avant tout un engagement de chaque instant. Ce qui ne manque pas de choquer l’intelligentsia un poil réactionnaire pour qui, sacrilège! ce n’est plus l’architecture qu’on récompense. Peu importe, le monde d’avant est bel et bien mort et l’usage intensif du béton – n’en déplaise à ses fidèles aficionados – n’est tout simplement plus une option. Célébrer des démarches plutôt que de grands gestes, là aussi, il était temps.
L’Afrique (enfin) récompensée
Jun 10, 2022
2 minutes
Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.
Démarrez vos 30 jours gratuits