Le Journal du dimanche

NOTRE-DAME

Nous entrons dans la cathédrale. Quelques pas au-delà du portail d’entrée, parce que l’endroit est dangereux. L’eau s’est accumulée au sol. Le clapotis de nos chaussures dans cette désolation sacrée est ridicule. Il fait sombre, mais on voit tout de même. Les projecteurs installés à l’extérieur dessinent par les interstices et les brèches de l’édifice des traits d’une lumière magique. Plus hésitants, presque incapables de résister à l’obscurité qui les happe, les faisceaux des lampes portées par les sapeurs-pompiers viennent esquisser des formes, des amas, des chaises immobiles et indifférentes à la fournaise, au déluge et à la désolation qui se sont succédé. Et au loin, au bout de la cathédrale, derrière l’obscurité et derrière les fumées qui se dégagent encore un peu du sol où se consument les débris de la flèche, la croix paraît briller, blanchie par la lumière qui s’infiltre depuis le plafond percé. Par petites touches orange qui tombent doucement du ciel, le plomb fondu coule depuis le toit. Le spectacle est merveilleux, et nous sommes interdits. Hypnotisés par l’harmonie crépusculaire du moment. Saisis par le vide et le silence qui contrastent avec l’excitation et l’activité dont nous nous sommes échappés mais qui se devinent encore sur le parvis. Renvoyés intimement à ce que Notre-Dame représente pour chacun d’entre nous.

Enfant, Notre-Dame de Paris était pour moi une ascension. La joie d’une aventure qui commençait par un escalier en pierre, étroit et sombre. Quatre cent vingt-deux marches à monter, dans la tour nord d’abord puis, après avoir longé les chimères, dans la tour sud pour accéder enfin au sommet et admirer Paris, surplomber ses toits, tenter de reconnaître ses palais et ses monuments, s’étonner des gargouilles, et, à 7 ans, sentir le souffle de l’Histoire.

Plus que la tour Eiffel et même plus que le Louvre, Notre-Dame, c’était Paris.

Mes parents n’avaient jamais vécu à Paris. Normands, ils connaissaient Le Havre et Rouen. Lille aussi, parce que la famille maternelle était flamande. Ils voyageaient bien sûr, dans la vieille Coccinelle qui servait de voiture, mais ils n’avaient ni étudié, ni travaillé, ni vécu à Paris. Cela ne leur serait d’ailleurs pas venu à l’esprit. La capitale les fascinait mais le rythme de la ville, le coût de la vie qu’on y menait, l’absence de tout contact sur place leur interdisaient d’espérer, et même de vouloir, y élever deux jeunes enfants.

Mais ils aimaient Paris. Et à intervalles distants et réguliers,

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