a nouvelle venait de tomber. La reine Victoria, « grand-mère de l’Europe » qui avait assis son pouvoir sur le plus grand empire colonial de ce monde, avait rendu l’âme en ce 22 janvier 1901. Tel un triste écho à ce deuil national, Miss Millicent Bramley avait ce même jour dit adieu à sa tante, Harriet Bramley, qui l’avait prise sous son aile et élevée lorsqu’elle s’était retrouvée orpheline à 3 ans. Millicent sortit du cimetière, encadrée du docteur Salomon Richards, vieil ami de la défunte, ainsi que de son fils Gideon. Père et fils raccompagnèrent en automobile la jeune femme à son domicile de Bath. Le chevaleresque Gideon, en ouvrant la portière arrière du véhicule pour que Millicent en descende, lui dit d’une voix qui se voulait apaisante mais qui ressemblait à un coassement de crapaud :
– Vous n’êtes pas seule, Millicent. Vous pouvez compter sur Père et sur moi. Il lui prit les deux mains qu’il serra dans les siennes. Les mains de Gideon étaient moites malgré le froid de ce mois de janvier. Millicent remercia le jeune homme, esquissant un pâle sourire de circonstance tout en pensant que, justement, elle aspirait à être seule. Les mains moites de Gideon, loin de la réconforter, lui donnèrent l’envie de partir bien loin.
Le 22 mars 1901, exactement deux mois après la mort de la reine Victoria, Miss Millicent Bramley embarquait à Southampton sur le Falcon, bateau qui l’emmènerait vers l’île Maurice, une de ces colonies de l’océan Indien que feu la reine Victoria avait laissé en héritage à son fils aîné et successeur, Edouard VII.
Millicent avait 23 ans. Ses parents étaient morts noyés un été alors qu’ils faisaient du bateau sur l’Avon. Leur barque s’était renversée et un fort courant avait aspiré le couple pour l’éternité au fond de l’eau. Harriet Bramley, sœur du père de la petite Millicent, avait recueilli sa nièce. Miss Bramley, vieille fille confirmée, vivait confortablement, ayant hérité d’un joli pécule à la mort