Boca Chica, dernière station avant Mars
Un étroit ruban d’asphalte qui ondule sur des kilomètres sous un ciel laiteux. Au lointain, des brumes de chaleur dansent au ras du sol, le bitume semblant se liquéfier sous les flèches des rayons de soleil. L’air brûlant alourdit tout, dilate le temps. Sans crier gare, on déboule sur la plage, longue langue de sable doré qui s’étire jusqu’à l’embouchure du Rio Grande, à l’extrême sud du Texas. Nous voici à Boca Chica, près de la frontière mexicaine. L’endroit n’a d’exotique que le nom. Pas d’hôtels de luxe, pas de bars branchés, pas de Marina pour yacht XXL, pas de restaurants attrape-nigauds pour touristes en goguette. A gauche, le long de la route, la lagune s’étend à perte de vue jusqu’à South Padre Island, où les barres d’hôtels ressemblent à de petites allumettes scotchées sur l’horizon. De l’autre côté, la Loma, sorte de lande impénétrable tapissée de cactus et hérissée de yuccas abrite coyotes et serpents à sonnette.
Pendant longtemps, seuls les habitants du coin connaissaient ce bout de terre oublié. Depuis des lustres, ils y viennent le week-end en voiture, leurs gros pick-up Silverado Chevrolet remplis à ras bord, pour pique-niquer en famille et lancer d’immenses cannes à pêche dans les eaux transparentes et poissonneuses du golfe du Mexique. Cette plage, c’est leur dernier espace de liberté, l’endroit où ils reconstruisent le camp, ultime réminiscence d’un passé de pionniers conquérants.
Mais ça, c’était avant. Avant que l’homme le plus riche de la planète, Elon Musk, décide de faire de Boca Chica l’écrin de sa conquête multiplanétaire. C’est ici qu’il entend poursuivre le rêve américain. Mieux, écrire le futur de l’humanité. Ironie de l’histoire, c’est aussi ici que les Etats-Unis sont vraiment nés, dans le sang de la dernière bataille de la guerre de Sécession. En juin 1865, un mois après la reddition du général Lee, un bataillon de confédérés tente une ultime offensive. La centaine d’hommes finira massacrée à quelques kilomètres seulement du Mexique.
Avec Elon Musk, le passé s’effiloche. La nature sauvage s’incline devant la technologie. Depuis 2014, Boca Chica tombe peu à peu dans l’oubli pour laisser place à la Starbase, le site de construction et de lancement du Starship, la plus grosse fusée jamais construite au monde. Une « fucking big rocket » (« putain de grosse fusée »), comme le milliardaire aime l’appeler. Un engin monstrueux, haut de 120 mètres, capable de transporter 100 tonnes de matériel, et qui va renvoyer toutes les autres fusées existantes à l’âge de pierre de l’industrie spatiale. Le projet est à la hauteur de la mégalomanie de Musk. Avec le Starship, il ambitionne d’emmener l’Homme sur Mars, pour le sauver d’un déclin inéluctable sur une Terre rongée par la pollution et menacée par une troisième guerre mondiale. A Boca Chica, Musk, businessman redoutable et visionnaire, s’est métamorphosé en gourou New Age.
Pour découvrir la Starbase, mieux vaut y arriver en fin de journée, lorsque les rayons rasant du soleil découpent toutes les formes. A des années-lumière d’un site industriel hautement sécurisé, les badauds peuvent s’approcher à quelques dizaines de mètres seulement des fusées. Il faut bien entretenir la légende. Chaque jour, ils sont des dizaines à longer
Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.
Démarrez vos 30 jours gratuits