Lettre de Vincent Van Gogh à son frère
Arles, septembre 1888
Mon cher Théo,
‘‘Je commence à me sentir tout autre chose que ce que j’étais en venant ici, je ne doute plus… Je suis ravi’’
Ce matin de bonne heure je t’ai déjà écrit puis je suis allé continuer un tableau de jardin ensoleillé. Puis je l’ai rentré – et suis ressorti avec une toile blanche et celle-là aussi est faite. Et maintenant j’ai envie de t’écrire encore une fois. Parce que jamais je n’ai eu une telle chance, ici la nature est extraordinairement belle. et tant d’autres. À travers le côté Tartarin et le côté Daumier du pays si drôle où les bonnes gens ont l’accent que tu sais, il y a tant de Grec déjà et il y a la Vénus d’Arles comme celle de Lesbos et on sent encore cette jeunesse-là malgré tout. Je n’en doute pas le moins du monde qu’un jour, toi aussi, tu connaîtras le Midi. Tu iras peut-être voir Claude Monet quand il est à Antibes ou enfin tu trouveras une occasion. Quand il fait du mistral, c’est pourtant juste le contraire d’un doux pays ici car le mistral est d’un agaçant. – Mais quelle revanche, quelle revanche lorsqu’il y a un jour sans vent. Quelle intensité des couleurs, quel air pur, quelle vibration sereine. Demain je vais dessiner jusqu’à ce qu’arrive la couleur. Mais j’y suis arrivé maintenant de parti pris de ne plus dessiner un tableau au fusain. Cela ne sert à rien, il faut attaquer le dessin avec la couleur même pour bien dessiner. […] Que fait Seurat. – Je n’oserais pas lui montrer les études déjà envoyées mais celles des tournesols et des cabarets et des jardins, je voudrais qu’il les voie. Je réfléchis souvent à son système et toutefois je ne le suivrai pas du tout mais lui est coloriste original et c’est la même chose pour Signac mais à un autre degré. Les pointilleurs ont trouvé du neuf et je les aime tout de même bien. Mais moi – je le dis franchement – je reviens plutôt à ce que je cherchais avant de venir à Paris et je ne sais pas si quelqu’un avant moi a parlé de couleur suggestive. Delacroix et Monticelli, tout en n’en ayant pas parlé, l’ont faite. Mais moi, je suis encore comme j’étais à Nunen lorsque j’ai fait un vain effort pour apprendre la musique – alors déjà – tellement je sentais les rapports qu’il y a entre notre couleur et la musique de Wagner. Maintenant il est vrai, je vois dans l’impressionnisme la résurrection d’Eugène Delacroix mais les interprétations étant et divergentes et un peu irréconciliables, ce ne sera pas encore l’impressionnisme qui formulera la doctrine. C’est pour cela que je reste, moi, dans les impressionnistes parce que cela ne dit rien et n’engage à rien. et je n’ai pas, là-dedans en copain, à me formuler. […] Je te serre la main et à bientôt.
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