Diapason

ILS NOUS ONT QUITTÉS

JACQUES DRILLON

Critique musical, écrivain, né en 1954

otre dernière conversation écrite s’arrête le 8 octobre. Son mal rongeait la parole, la main, puis tout. Le même mal qui avait emporté son beau-fils Antoine–agonie retracée dans , livre saisissant (Gallimard 2003). Une tumeur au cerveau. Tumeur qui avait déjà interrompu le 1 octobre son blog,, sur ). Langue pure que les lecteurs de son (Gallimard 1991, essentiel), de ses quizz ou de ses mots-croisés dans dévoraient sans même deviner le noyau brûlant de sa planète: la musique. Né à Paris le 25 juin 1954, il grandit, étudie, se discipline et se révolte en Lorraine, où il tombe amoureux de Mozart. Apprend le piano et la flûte qu’il enseigne pour quelques francs à Nancy en même temps qu’il chante Gesualdo avec l’ensemble vocal Gérard-Caillet. Il a vingt ans quand Louis Dandrel lui ouvre la porte de Radio France, de ce « nouveau France Musique » où éclatent ses formules sur Bach et Stockhausen, maîtres à penser comme Proust, Céline, Godard (Jean-Luc), Valéry forcément (la syntaxe), plus tard Philippe Muray (la serpe qui fauche et cultive). Pas homme à masquer ses penchants. Il aime les phrases, conchie les phraseurs. Il aime Sviatoslav Richter, méprise Vladimir Horowitz. Aime Gustav Leonhardt (traduit son , publie  en 2009) plus qu’Harnoncourt. S’émerveille des trésors qu’un artiste peut arracher à une flûte à bec, pauvre tuyau–porte aux nues Frans Brüggen et son disciple Hugo Reyne. Milite contre Handel, pour Liszt–Liszt transcripteur avant tout. Contre les « néo-tonaux », pour Boulez, pour Manoury, pour l’objet inoxydable de son exaltation, Stockhausen. Pour la musique musicale, contre la musique commerciale. Extrait de son autobiographie parue en 2018 (): « Aujourd’hui encore, mon dégoût pour la musique qui passe à la radio et à la télévision me sépare de presque tous les autres. On me traite de snob parce que j’ignore tel groupe, tel chanteur […] Qu’y puis-je si ces chansons me paraissent salissantes, et qu’elles me blessent, me pourrissent le cerveau? Tout me les fait éviter: l’indifférence, l’instinct de survie, la répugnance. » Engagé à gauche toute, il est recruté par où il succède à Maurice Fleuret en 1981 quand l’illustre critique est promu directeur de la Musique dans le premier ministère Lang. Il écrit aussi pour , … –par exemple sur Glenn Gould (mai 2006), autre thème inépuisable de sa vie et de sa plume. Tout ce qu’il met sous presse embrase le courrier des lecteurs. « Avant de devenir un plaisir aristocratique, déplaire est un art, une technique. » Ayant côtoyé un quart de siècle avec effroi et ravissement ce rieur, ce lutteur, ce joueur, ce conteur, ce laser, je mesure notre perte, le jour de Noël qui pis est. Nous ne perdons pas un critique. Nous ne perdons pas un journaliste (qui se faisait un devoir de « transgresser les lois du journalisme »). Nous ne perdons pas un docteur ès lettres (Metz 1993). Nous perdons un auteur. Et même, dans notre champ, l’Auteur par excellence. Qui laisse une trace forte parce que la main l’était. Cinq mois après André Tubeuf (

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