“On ne peut plus rien dire, de nos jours”, entame John Waters. “On pourrait vous objecter, je réponds, que vous avez toujours dit ce qu’on n’est pas censé dire.” Il réfléchit. “C’est vrai. Mais la frontière est ténue, et bizarrement je m’en suis toujours tiré… Si on n’a pas encore essayé de me boycotter, c’est parce que je me moque de ce que j’aime, pas de ce que je déteste.”
Ce n’est pas la première fois qu’il lance cette petite formule sur l’amour et la haine. Peut-être la répète-t-il aux médias pour désamorcer un potentiel examen des aspects les plus incendiaires de son œuvre, qui l’a vu en six décennies aborder le cinéma, la performance, le documentaire et les beaux-arts. Quand on pense à lui, c’est l’indécence de ses films, notamment, encensés par la critique pour leur flamboyance gonzo, qui vient en premier à l’esprit. En préparant cet entretien avec John Waters, je m’étais promis de refuser la facilité, d’élever un autel à son sens de la satire, d’approcher mon sujet comme la disciple que je suis. La matière peu ragoûtante dont il fait son miel m’a toujours plus inspirée qu’écœurée – j’ai joué le rôle d’Edna au adaptée de son film de 1988, et j’ai découvert peu après. Pourtant, quand un ami hétéro m’a demandé qui était John Waters, je n’ai eu recours qu’aux idées reçues : Pink Flamingos, Hairspray Ma tentative molle de “Waters pour les nuls” reposait par défaut sur les clichés les plus éculés. Et me voilà maintenant au téléphone avec mon idole, en train de discuter à bâtons rompus.