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Une histoire musicale de Venise

XVIe et XVIIe siècles : floraison des arts

Au XVI e siècle, la sérénissime République connaît son apogée économique et politique. L’année où le pont du Rialto est construit sur le Grand Canal (1458) est aussi celle de sa plus grande expansion territoriale. Détentrice de riches territoires « d’outre-mer » (la Crète, Chypre, l’Istrie, la Dalmatie…), Venise préserve jusqu’à la fin du XVII e siècle ses nombreuses provinces de « terre ferme », qui s’étendent du Frioul jusqu’aux portes de Milan. En 1571, elle parvient encore à contenir l’avancée des Ottomans, lors de la bataille navale de Lépante. Cette opulente indépendance, dans une Péninsule dévastée par les guerres d’Italie, favorise la floraison des arts. Le siècle des Bellini, du Titien et de Véronèse est celui où Venise s’impose comme la capitale incontestée de la musique, grâce à une invention locale: l’imprimerie musicale. En 1501, Ottaviano Petrucci publie son Odhecaton, qui réunit cent chansons d’auteurs principalement franco-flamands. A sa suite, d’influentes dynasties d’imprimeurs (Gardano, Vincenti) vont permettre une large diffusion des musiques « d’avant-garde » de la Renaissance et du Baroque vénitiens.

Une architecture de musique

C’est au cœur de la Basilica di San Marco, l’édifice le plus emblématique de la Sérénissime, que se sont produites ces révolutions musicales. Edifiée en 1063, elle emprunte à l’église des Saints-Apôtres de Constantinople son plan en croix grecque et ses cinq coupoles monumentales. Elle se singularise par la multiplicité de ses tribunes de musiciens. Devant la barrière d’autel, se trouvent deux édicules. A gauche, le Pulpitum magnorum cantorum (ou Pergola dei Musici, également surnommé Bigonzo), habituellement dédié au chant a cappella. A droite, le Pulpitum novum lectionum, dont les deux étages superposés, ordinairement destinés aux lectures, peuvent également accueillir des chantres. De chaque côté de l’autel, attenantes aux chapelles San Pietro et San Clemente, se trouvent deux hautes tribunes, chacune pourvue d’un orgue. Le premier, considéré comme « grand », n’a pourtant qu’un unique clavier et un petit pédalier, pour seulement neuf jeux. Le second n’en propose que quatre. Il est connu pour ses basses déficientes : une contrebasse de viole est fréquemment requise à ses côtés pour pallier cet inconvénient. En dessous des tribunes d’orgues, se trouvent encore plusieurs balcons (aujourd’hui disparus), où peuvent prendre place chanteurs, instrumentistes et organetti (petits orgues transportables). Ces multiples tribunes vont inciter les maîtres de chapelle à développer un style d’interprétation qui va bientôt se muer en procédé d’écriture : l’opposition de plusieurs chœurs diversement constitués, mêlant voix et instruments, pour créer une somptueuse architecture sonore, colorée et spatialisée.

L’âge d’or de la Capella Marciana

San Marco est la chapelle particulière du doge, attenante et communicante avec son palais. Elle sert également aux célébrations officielles de la république patricienne: la Sensa (l’Ascension, véritable « fête nationale »), le Sposalizio (les « épousailles » symboliques de Venise et de la mer), l’intronisation du doge, les visites de monarques, les commémorations des victoires et autres offices votifs. Autant d’occasions solennelles pour déployer, grâce aux multiples tribunes de la basilique, des fastes sonores inouïs.

L’histoire de la Cappella di San, pour laquelle huit enfants sont recrutés et placés sous l’autorité d’un . Le 31 août 1491, la chapelle est définitivement instituée, avec la nomination de son premier : Pietro de Fossis. Elle prend réellement son essor en 1527, avec l’arrivée du flamand Adrian Willaert (1490-1562), l’inventeur des . Il va revisiter l’habituelle alternance des chœurs (antiphonie), favorisée par les multiples tribunes, en introduisant, dans l’écriture même de ses compositions, des « tuilages » entre les parties. Des groupes de voix et d’instruments, de plus en plus diversifiés, s’opposent et se succèdent comme par « fondus enchaînés », avec une rapidité et une variété de contrepoints inédites.

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