LES DOIGTS DANS LA PRISE
UNE ODE SEXISTE, esclavagiste, pour ne pas dire raciste, jaillie des fantasmes les plus glauques du Vieux Sud d’avant la guerre de Sécession (“Brown Sugar/How come you taste so good?”)… des allusions à la dope comme s’il en pleuvait (“I’ll be in my basement room with a needle and a spoon”… “Tell me Sister Morphine, when are you coming round again?”)… sans oublier cette pochette (“Oh my God! une braguette!”) et ce titre, lourd de sousentendus: on ne prend guère de risques en affirmant que, de nos jours, un disque comme Sticky Fingers serait immédiatement cloué au pilori par toutes les factions de la nouvelle bien-pensance, et les principaux protagonistes de cette oeuvre d’une confondante obscénité traînés devant les tribunaux populaires des réseaux sociaux…
Les choses sont sensiblement différentes en avril 1971, au moment où le nouveau LP des Rolling Stones arrive chez les disquaires. Bien sûr, les paroles de Mick Jagger – un mélimélo d’images à haute teneur sexuelle et de références à l’héroïne, “brown sugar” dans l’argot des junkies – prête le flanc à toutes sortes de critiques. La controverse fait rage. Mais les Stones en ont vu d’autres. Le scandale, c’est un peu leur fonds de commerce et la puissance du morceau lui-même, avec ses riffs imparables et son groove fabuleux, emporte tout sur son passage. Ce n’est pas une chanson, c’est une tornade… un classique stonien immédiat comme l’ont été “Jumping Jack Flash”, “Sympathy for the Devil” ou “Gimme Shelter”.
Malgré la rituelle signature Jagger-Richards apposée sur l’étiquette du 45-tours, par ailleurs ornée d’un tout nouveau logo, personne ne doute une seconde, à l’époque, que les accords qui ouvrent “Brown Sugar” ne soient l’oeuvre de l’autoproclamé roi du riff, en Australie, sous le titre on ne peut plus explicite de “Black Pussy” – avec, comme possibles sources d’inspiration, la chanteuse afro-américaine Marsha Hunt ou la choriste Claudia Lennear, qui traîne souvent avec les Stones quand ils sont à Los Angeles, dixit Bill Wyman. Quoi qu’il en soit, “Brown Sugar” bluffe littéralement Keith Richards, qui en peaufine le riff en open de sol sur sa Dan Armstrong cinq cordes avant d’entrer en studio.
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