Une histoire corse
La scène se déroule sur un aérodrome du Sud de la France, où quelques spectateurs observent avec curiosité un petit bimoteur à l’arrêt en bout de piste, face au vent. De toute évidence, ses moteurs chauffent en vue d’un décollage imminent. Un événement banal? Pas tant que cela, car nous sommes sur le terrain de Cannes-Mandelieu en décembre 1943, donc en zone nonoccupée, où les envols sont rares. D’autant qu’il s’agit – mais les spectateurs l’ignorent – du premier prototype conçu et construit en France depuis l’Armistice de juin 1940. La sortie dans cette période troublée d’un avion nouveau, qui plus est immatriculé français, mérite un court rappel historique car sa genèse n’est pas ordinaire.
La foudroyante avancée des colonnes allemandes
L’histoire du SO.30 “Bretagne” (publiée dans Le Fana de l’Aviation n° 578) a été l’occasion d’évoquer comment, à la fin des années 1930, les constructeurs aéronautiques français, face à la montée des périls en Europe, s’efforcent, timidement et un peu tard, d’éloigner de la frontière franco-allemande une partie de leurs précieux moyens humains et matériels. Un mouvement trop modeste qui s’accélère pourtant au printemps 1940, au rythme de la foudroyante avancée des colonnes de la Wehrmacht. Ainsi, fin juin 1940, quand cessent les combats, nombre de bureaux d’études et d’ateliers se trouvent installés tant bien que mal au sud de la Loire. L’une des principales conséquences de l’armistice signé le 22 juin étant de couper la France en deux, certaines de ces implantations vont se trouver annexées dans la zone occupée par les Allemands. Sitôt connu le tracé de la ligne dite de “de démarcation”, un nouveau mouvement s’organise à la hâte vers l’est, vers Châteauroux, désormais principal site aéronautique de la zone dite “libre”. Ainsi s’y trouve bientôt réunie la grande majorité des effectifs d’ingénieurs que les constructeurs ont pu soustraire à l’occupant. Et parmi eux les anciens des Avions Marcel Bloch.
Lorsque les entreprises aéronautiques sont nationalisées en août 1936, la toute nouvelle usine de Châteauroux est le fleuron des Avions Marcel Bloch, société autour de laquelle se constitue la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Ouest, ou SNCASO. Les rédacteurs de la loi de nationalisation incluent dans ce texte deux dispositions pleines de bon sens et fort opportunes: pour ne pas désorganiser les usines alors que la guerre menace, les industriels sont maintenus à la tête de leurs anciennes entreprises; et pour préserver leurs talents de concepteurs, ils sont autorisés à conserver des bureaux d’études et à construire des prototypes. Sans tarder, Marcel Bloch organise la société anonyme des Avions Marcel Bloch et, jouant sur les besoins du moment, démarre l’étude de plusieurs projets.
Ayant commandé à la hâte à l’étranger des centaines d’avions de combat qui vont venir s’ajouter à la production nationale, le ministère de la Guerre se préoccupe bientôt de l’immense quantité d’aviateurs de toutes spécialités qu’il sera nécessaire de former pour les mettre en oeuvre. Pour les équipages des multimoteurs, le ministère de l’Air lance un programme de bimoteurs triplaces dénommés T3 (T pour transformation), lequel s’avère être un échec et conduit à l’acquisition d’avions italiens (Caproni 313). Marcel Bloch s’intéresse alors à ce type d’appareils et, sous la dénomination MB.800,
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