Intemporels Houtsoules
De vieilles chemises transformées en pâte à papier
photos ont été prises en 2013, mais j’ai commencé à photographier les Houtsoules en 2004. J’ai exposé et publié en 2012 la première partie de ce travail. Je suis fasciné par la façon dont le peuple houtsoule a su préserver ses traditions ancestrales, qui constituent un véritable patrimoine mondial. Même s’ils sont par certains aspects ouverts siècle. Chacune comporte une broderie dont les motifs et couleurs correspondent à un village. Je décide de revenir une dizaine de jours pour réaliser des portraits posés à la chambre. Il me restait des Polaroids T59 d’avant la rupture de stock. Ces lots étaient périmés depuis 2007, mais cela m’a donné ce côté intemporel, reflétant cette culture hors du temps. A mon retour en France, je montre ces photos à mon père qui me demande où j’ai pris ces photos. Il me dit : “C’est étonnant que tu sois allé là-bas car c’est le village où est né ton arrière-grand père”. Je réalise alors que j’ai photographié une grand-tante sans le savoir, et que Bohdan et moi sommes cousins de 4 lignée ! Je me dis qu’il faut que je fasse quelque chose de ces images. Puis, en 2014, je pars photographier la révolution en Ukraine, et la guerre dans le Donbass. Cela aboutit à un livre et des expositions. Après avoir terminé ces projets ,je reviens sur les Houtsoules. Entre-temps, j’ai commencé à faire des tirages à la gomme bichromatée. Le procédé date de 1860, soit la période où est né mon arrière-grand-père, cela fait sens. Et pourquoi ne pas aller un peu plus loin ? En Ukraine, il y a cette tradition de fabriquer des poupées avec les vêtements des défunts, que l’on offre ensuite aux enfants pour les protéger. Les Houtsoules sont chrétiens depuis plus de mille ans, mais restent ancrés dans des traditions animistes ancestrales. Pourquoi ne pas utiliser ces vêtements pour en faire du papier ? Il me fallait trouver un artisan. C’est là que j’ai fait la connaissance de Frédéric Gironde, qui a repris la célèbre maison Ruscombe Paper Mill. Il a tout de suite été intéressé par mon projet. Bohdan m’a envoyé de vieux pans de chemises de chanvre et de lin inutilisés, que l’on a transformés en pâte à papier, et j’ai commandé aux femmes du village une cinquantaine de broderies différentes que l’on a insérées entre deux couches de pulpe. En sortie de presse, même sans image, la feuille était déjà d’une grande poésie. Pour les tirages, je suis allé à Kiev auprès d’Oleksander Prymak, un passionné de procédés alternatifs qui m’a appris la gomme bichromatée en quadrichromie, et avec qui nous avons produit 17 images en 1 mois et demi. Quand je les montre, on me demande de quel siècle elles datent. Si le sujet et le procédé renvoient au XIX siècle, le fait que les hommes ne portent pas de moustaches et de cheveux longs montrent qu’elles sont contemporaines. Mais il ne s’agit pas de figurants déguisés, ce sont des vêtements qu’ils portent pour les fêtes. Je voulais les mettre en contact avec leurs ancêtres pour témoigner aux générations futures de l’existence de cette culture d’une très grande richesse, assez méconnue même en Ukraine. Et afin de ramener un peu de modernité, j’exposerai les tirages entre deux plaques de plexiglas sans cadre, avec un accompagnement musical contemporain d’inspiration houtsoule composé pour l’occasion par Roman Kolyada. Je tiens à ce que le procédé reste toujours au service du message que je veux véhiculer.”
