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Demos
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Livre électronique116 pages1 heure

Demos

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À propos de ce livre électronique

Demos est un petit nom de classe, un diminutif pour parler vite, aller à l’essentiel quand on m’appelle. J’y vois un signe d’affection, l’impérieuse injonction de me soucier d’un peuple, de veiller à ce qu’il vienne au gala des mots, ni en tribus identitaires, ni en foule en colère, mais en petite bande amoureuse, comme les échappés du dernier kilomètre, avec une même et convulsive splendeur en ligne de mire. Aucune égalité n’est requise quand on vise le luxe d’une banquise, quand les paysages sont silencieusement sauvages, quand les ciels rouges s’ébrouent avec les loups. Aucune égalité n’est respectée, quand on décide de coudoyer une invincible beauté, quand on endosse l’humilité du fol guerrier, quand on décide, une fois pour toutes, d’y aller seul. Aucun peuple. Aucun peuple ne suit. Aucun peuple ne cause au néant. Tous les autres mentent. Le livre, il suffisait de trois mots pour l’écrire : assuétude, épiphanie, nostalgie. Nous étions trois aussi, agenouillés au pied du lit, les coudes plantés dans l’édredon, une mère et deux fils, à réciter la prière journalière avant d’éteindre la lumière. Je me réveille. Je ne vois plus ma mère. Je questionne un mur. Qu’est-ce que c’est, au juste, qu’une prière ? D’une abyssale ignorance, saurais-je faire une espérance ? Je me souviens de la musique des préaux et j’entends la clameur qui me baptise tout haut Demos, du nom qui désigne un peuple hellène.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Christian de Maussion vit dans un pays ensoleillé, étoilé de jolies phrases, qui s’appelle « La langue française ». Il y séjourne à l’année depuis ses premières assiduités d’écolier. Ce treizième livre fait suite à « "Fred" » et à « "Tita Missa Est" » dont il compose le dernier pan du triptyque. Un jour, l’auteur, au terme de l’aventure, réunira ses textes sous un titre générique : « La plus belle fille du monde ». L’auteur aime lire, écrire, ne rien faire. À ses heures, il rédige des chroniques pour Service Littéraire.
LangueFrançais
Éditeur5 sens éditions
Date de sortie10 déc. 2025
ISBN9782889498123
Demos

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    Aperçu du livre

    Demos - Christian de Maussion

    Couverture pour Demos réalisée par Christian de Maussion

    Christian de Maussion

    Demos

    À elle, à lui

    « C’est à celui qui sait être seul, que je voudrais parler, et à personne d’autre. »

    Alexander Grothendieck, Récoltes et Semailles, Gallimard, 2021

    « Maintenant elle sentait bien que sa froideur apparente n’eût plus rien changé, et la tendresse qu’elle me prodiguait était comme ces aliments défendus qu’on ne refuse plus aux malades, quand il est assuré qu’ils ne peuvent plus guérir. »

    Marcel Proust, Albertine disparue, page 203, Pléiade IV

    La beauté me fait du bien. Avant de mourir, j’aimerais revoir un chien, coller mes regards au sien. Hopi, Romy, Roumi. Quelque chose des bois d’ici, des loups blancs de Mongolie. Serrer la patte de Roumi, le tumultueux épagneul des tilleuls, le dégager du piège masqué des braconniers. L’entendre à son cri, percuté par un mal d’animal, se hâter de libérer les dents d’une stridence, le voir lécher sa plaie, peu à peu dans l’instant d’un été.

    J’ai les doigts tailladés, la paume ensanglantée. Roumi découvre une gueule mêlée d’écume et de rosée. Il m’enseigne une foi, le credo d’une joie, l’œil libre d’une fidélité sans pourquoi. La nuit s’annonce sans cause dans une lumière fauve, frangée des hautes fougères à couleur de terre. L’homme et le chien claudiquent, se noient d’instinct dans un sang noir, rentrent au bercail avant que la tête ne déraille.

    Le drap blanc d’une page où je dévisage une phrase. Nue dans sa baignoire, je n’observe qu’elle. Un voyeur de voyelles la dévêt jusqu’aux yeux. Je la trouve bien faite. La phrase est offerte à la braise du regard. Ma fille est prête pour le bal.

    Les chefs-d’œuvre, je les frotte l’un contre l’autre. Je sais faire un feu. Je connais la règle du jeu, la loi du feu sacré. J’évente un secret avant qu’il ne saigne, avant que la flamme ne s’éteigne. Les textes sont des silex, des mains jointes où se conserve une joie, la brûlure d’écriture, un murmure d’autrefois.

    Sur le tard, au bord de la margelle, je me suis persuadé que j’étais le portrait craché d’elle.

    Je n’étais pas assez intelligent pour tailler une pensée. Pas assez outillé pour forger des concepts, inventer une idée. En revanche, ma peau était sensible aux mots, assez peut-être pour jouer avec une voyelle, esquisser une phrase qui évoquât un style.

    Les souvenirs sont la matière de l’imagination. À jouer avec la mémoire comme avec des allumettes, on fait flamber les songes, on fouette un feu dans sa tête.

    L’ampleur que le silence donne à la présence. Le mutisme de l’homme seul, du lent piétinement qui rejoint l’horizon, ruine la géante prétention du monde.

    Je me souviens de la musique des préaux et j’entends la clameur qui me baptise tout haut Demos, du nom qui désigne un peuple hellène. Le style est un nombre premier : il ne se divise par nul autre dernier, tracé à la craie, excepté l’unité.

    Soupault compose un poème qui mène à la mer, sème compagnie aux vers qui mangent une chair en pleine terre. Foutez-le à la mer. « Seulement un coup d’épaule. » Aux premiers rires des jours de camaraderie, j’ai senti l’idiot éclat d’un regard d’omoplate.

    J’ai compris. Avec un temps de retard, une décennie d’amnésie. J’ai compris qu’elle m’avait légué Chopin, la nostalgie des Nocturnes, un piano qui débarrasse des mots et des méchants refrains. J’ai su qu’un solitaire désignait une bête qui s’entête aussi bien qu’un sourire d’orfèvrerie. La solitude se porte au bout du doigt, presse une blessure droite à travers bois.

    Au cercle d’épiciers qui meurtrissent un livre de piété, aux menteurs saisonniers qui lynchent les niais phraseurs, je hurle une vérité, ni provisoire, ni accessoire, je gueule une parole frivole : « Je ne raconte pas d’histoire. » Même sous la torture des fausses ratures, je ne renierai un songe merveilleux pour un odieux mensonge. J’écrirai à voix basse, éraillée par la grisaille, je ne ferai pas d’histoire. Sur la pâle falaise d’une page, je ne commettrai pas la moindre crasse, je proscrirai le sens fléché d’un terminus.

    La Résurrection est un secret bien gardé, un mystère dont le dévoilement taraude l’entendement des derniers braves d’Occident. Ils interrogent un corps d’homme, observent un phallus à brusques intermittences, qui naît et meurt, renaît et succombe. L’indice d’un sexe corrobore une foi, figure une espérance dure, sans quoi la mort ne serait qu’une débandade irrévocable, une jardinière dispersion des poussières.

    La vie m’était donnée, se disposait à m’étonner. Le préau d’école est une sorte de hangar où patiente une récolte, un purgatoire où se rêve une aurore.

    J’ai l’impression que quelque chose de trop grand, de trop vaste pour moi, troue l’imagination, apparente un futur à sa fêlure.

    Ces choses se sont passées, ont écorché la surface d’une peau, cherchent un mot qui les dégage de l’oubli, du muet éboulis comme un long crachat qui les enterre, les a ensevelies.

    Je vois une première ligne de petits bitards aux yeux qui clignent dans le brouillard. Deux piliers, un talonneur, qui s’épaulent aux premières heures d’école, avant l’entrée en mêlée, avant de se colleter aux épines, aux grandes suées qui égratignent, à la ronde immobilité d’un monde.

    Alban, Menou, Mazeline. J’ai grandi sous de Gaulle. Une grandeur d’école, l’effigie d’un pays. Si la vieillesse n’est pas ce qu’on croit, l’enfance est une trace de soi qui fait loi et ne s’efface pas. J’étais réfractaire au caractère utilitaire du récit linéaire. J’éparpillais les pointillés des histoires comme des confettis insincères. Je m’incarcérais dans les phrases, une à une, me consacrais aux choses rares, aux aurores.

    Chardonne, en janvier, son avant-dernier, à moitié sourd, crie deux ou trois choses qu’il sait du bien écrire, observe une insensible majesté, sacralise le demi-jour du texte court. Il fait vibrer l’ennui comme un silence du soir, après la pluie. À Morand qui virevolte au volant, il confie : « Je cherche à m’ennuyer pour faire durer le plaisir de vivre. »

    C’est un plaisir que j’entame, juste après le collège Notre Dame. J’ai du temps. J’attends la neige. Le trio se réchauffe à se serrer près du préau. Alban, Menou, Mazeline. Cloués aux voix qui bégaient, fixés à l’immobilité, dans le vent qui gifle, le grésil qui blanchit nos blouses anthracite, le froid qui rougit les doigts, la sirène de midi qui mugit du ciel gris.

    Alban est petit, batailleur. Menou est moyen, rieur. Mazeline est grand, séducteur. J’envie son tablier, la qualité du drapé. Les heures périssent sans savoir qu’elles meurtrissent.

    La mort, je l’ai frôlée, à l’instant d’évoquer les premières sensations, les giclées d’une étrangeté au monde. Le passé est un champ tapissé de blessés. Je repasse la leçon, récite mes poèmes de petit garçon. J’accommode les restes, je bricole un texte, j’époussète un palimpseste.

    Mazeline fut jadis garagiste. Dessous sa blouse, il masque une rose des sables, cueillie des dunes d’Algérie. On eût dit un guerrier exhibant une perdrix, sortie de la doublure de sa pèlerine.

    Les samedis, à l’heure où la flamme de la cheminée ravigote un corps d’enfant, quand la porte de la cuisine s’entrouvre sur la nuit dégringolée, je dénombre les oiseaux alignés du tableau de la journée. Mes doigts saisissent la perdrix à bec ensanglanté, lissent les plumes d’exquise douceur, se chauffent à l’abdomen du petit volatile, à peine mort, se croisent sur le duvet grenat qui gît là sur le gravier. La chasse est une manie ancestrale qui jette la mort, comme un sort, sur la beauté du vivant. J’appartiens, dès cette date, au cercle des tueurs saisonniers.

    Mazeline a dérobé un secret qu’il masque sous un tablier. Soudain, comme un prestidigitateur qui pivote sur une jambe, il dévoile l’ocre du sable dans sa couleur d’octobre. La rose minérale déplisse ses pétales. Je suis prisonnier d’une lumière, d’une églantine de désert. J’obéis à Mazeline. J’acquiesce à pareille magie. Je mesure les vertus de

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