L’OEuvre de James Cameron: Explorateur de mythes
Par Julien Pavageau
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À propos de ce livre électronique
Pour James Cameron, l’exploration sous toutes ses formes n’a jamais été une fin, mais un moyen : celui de raconter des histoires. Or, s’il y a bien une chose que ce réalisateur comprend mieux que personne, c’est l’art du conflit. Que ce soit dans son écriture ou dans sa mise en scène, son cinéma est parcouru de forces antagonistes qui s’entrechoquent, d’oppositions illustrées de façon formelle par des contrastes de couleurs, par des changements brutaux de valeur de plan, ou par l’utilisation de la symétrie.
Cet ouvrage plonge en profondeur dans les thématiques de ses œuvres ainsi que dans sa conception du cinéma, art par lequel il mène une véritable bataille pour notre imaginaire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômé de CinéCréatis: École de cinéma et de l'audiovisuel à Nantes (2002-2005) et développeur intégrateur web de l'Ifocop (2012-2013), Julien Pavageau est infographiste free-lance.
En 2014, il a créé une chaîne YouTube d'analyse sur le cinéma : LeCiné-club de M. Bobine. Au fil des années, cette modeste chaîne a fédéré autour d'elle une solide équipe de chroniqueurs venus de tous les horizons.
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Avis sur L’OEuvre de James Cameron
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Aperçu du livre
L’OEuvre de James Cameron - Julien Pavageau
ROI DU BOX-OFFICE, metteur en scène de génie, explorateur des fonds marins, tyran mégalomaniaque… Avant même de s’intéresser à son cinéma, on pourrait d’abord se demander : qui est James Cameron ? La question peut sembler un peu basique, mais, en dépit des apparences, rien n’est jamais simple lorsqu’on souhaite tirer le portrait d’un réalisateur aussi imposant, populaire et singulier dans l’industrie du septième art. Ainsi, même pour répondre à la plus évidente des questions, nous allons devoir mener une enquête minutieuse qui va s’étendre sur soixante ans et nous faire voyager des plus profonds abysses de la planète jusque dans l’espace, en passant par Hollywood.
Maverick
Comme bien souvent, la réputation d’un cinéaste est avant tout une affaire de perception. En France, James Cameron est vu comme l’un des réalisateurs les plus emblématiques du cinéma des États-Unis – alors qu’il a pourtant conservé la nationalité canadienne. Il est le roi incontesté du box-office et des blockbusters hollywoodiens, c’est-à-dire des gros films de divertissement destinés à devenir des succès populaires dans le monde entier. En revanche, pour les exécutifs des studios chargés de produire ses films, c’est une autre affaire… Dans l’ouvrage Titanic. L’histoire du film de James Cameron de Paula Parisi, Peter Chernin, qui fut à la tête de 20th Century Fox de 1992 à 2009, nous explique que le réalisateur qui lui a offert True Lies, Titanic et Avatar a toujours été le moins « hollywoodien » de tous les gens à qui il a eu affaire dans ce métier. Dans le même ouvrage, Bill Mechanic, qui a été le producteur de Titanic sous les ordres de Chernin, nous précise que Cameron est un cinéaste maverick, c’est-à-dire un auteur qui a conservé toute son indépendance artistique au sein des studios hollywoodiens : « On peut faire des films intimistes et être réalisateur, et on peut faire des superproductions et être réalisateur. Je crois que Cameron entre dans la même catégorie que David Lean : il fait des films intimistes à gros budgets. »
Il s’agit là d’un bel euphémisme, car, sur ce point, le cinéaste ne fait jamais les choses à moitié. D’un côté, depuis Terminator 2, chacun de ses films a battu le record du plus gros budget de l’histoire du cinéma ; de l’autre, si l’on ne tient pas compte de l’inflation, trois des cinq films qui ont le plus rapporté d’argent au box-office mondial ont été réalisés par James Cameron. Le paradoxe, c’est que, malgré leur incommensurable succès, Titanic et les deux premiers volets de la saga Avatar représentaient des paris incroyablement risqués pour les studios. Ainsi, malgré le succès colossal de Titanic et ses onze Oscars, 20th Century Fox a bien failli passer la main sur le projet suivant de James Cameron : Avatar. Ce n’est que lorsque le cinéaste a invité la concurrence à jeter un œil à ses toutes premières images, notamment Dick Cook, le P.-D.G. de Walt Disney Motion Pictures Group, et Bob Iger, le grand patron de Disney, que la Fox a finalement accepté de produire Avatar… mais pas sans assurer ses arrières. Le studio a ainsi fait appel à des partenaires financiers pour réduire sa participation au budget du film et a sorti le film Alvin et les Chipmunks 2 une semaine avant Avatar pour s’assurer d’avoir au moins un succès au box-office de cette fin d’année 2009, en cas de flop du nouveau film de James Cameron.
Eh oui, si, rétrospectivement, on a tendance à prendre les énormes succès de ses films pour acquis, il ne faut pas oublier qu’à l’époque de leurs productions, une partie du microcosme hollywoodien anticipait plutôt des catastrophes industrielles au box-office. Ce fut par exemple le cas de True Lies et de Titanic, dont les tournages interminables et les budgets inflationnistes ont chacun valu à Cameron une campagne de dénigrement assez violente de la part de la presse cinéma américaine. En même temps, comment imaginer qu’une romance en costumes qui dure plus de trois heures et qui a coûté 200 millions de dollars puisse rentrer dans ses frais ? Ou encore un film de science-fiction à 237 millions de dollars dans lequel les héros sont de grands chats bleus extraterrestres et dont les antagonistes sont des humains ? Quel journaliste aurait pu prédire que ces œuvres deviendraient deux des plus gros succès de tous les temps au box-office mondial sans risquer de devenir la risée de sa profession ? Pourtant, l’adage est désormais bien connu à Hollywood : il ne faut jamais parier contre James Cameron. Ses œuvres échappent systématiquement aux règles, elles défient les pronostics, elles suscitent des réactions enflammées et, à l’arrivée, elles ouvrent systématiquement la voie vers des territoires cinématographiques inconnus. Or, de toutes les étiquettes que l’on a accolées au nom de James Cameron, la plus courante est à peu près toujours la même : il est un pionnier.
The bravest pionnier
Si cette étiquette peut sembler de prime abord un peu réductrice, elle n’est pas une simple construction médiatique, c’est au contraire une part essentielle de la personnalité du réalisateur canadien, mais aussi de son cinéma. L’exemple qui nous vient immédiatement en tête est son utilisation des images de synthèse dans ses films. Depuis le tentacule d’eau qui se balade dans les coursives de la station sous-marine d’Abyss jusqu’aux Na’vis d’Avatar, en passant par le T-1000 en métal liquide de Terminator 2 ou le Harrier Jump Jet photoréaliste de True Lies, chacun de ses films a ouvert de nouvelles perspectives en matière d’imagerie numérique. En 1993, le réalisateur fonde même sa propre société d’effets spéciaux, Digital Domain, avec son ami et collaborateur régulier Stan Winston, lui aussi une sommité des trucages. Toutefois, ce n’est pas le seul domaine dans lequel James Cameron a fait bouger les lignes.
Imprévisible, dangereuse, capricieuse : parmi tous les éléments, l’eau est particulièrement redoutée par les cinéastes. Steven Spielberg en a par exemple fait les frais sur le tournage des Dents de la mer en filmant le dernier acte dans l’Atlantique, au large de la petite ville de Martha’s Vineyard dans le Massachusetts. Si ce choix s’est avéré très payant visuellement, il a néanmoins transformé le tournage en véritable cauchemar logistique. C’est pourquoi peu de films sont réellement tournés sur ou sous l’eau. Quand le scénario l’exige, on opte plutôt pour des solutions de rechange, comme le dry for wet par exemple, une technique qui simule la submersion avec de la fumée, des filtres de couleurs, des effets de lumière ou de ralentis, et qui est par ailleurs utilisée à foison au cinéma de nos jours encore. S’il n’y a vraiment pas d’autre choix que de tourner sous l’eau, on envoie plutôt la seconde équipe et des doublures se coltiner les séquences sous-marines en pleine mer, et on filme les éventuels gros plans des acteurs dans l’environnement parfaitement contrôlé d’un studio équipé d’un bassin. Or, lorsqu’il s’attelle à Abyss, James Cameron, lui, choisit au contraire de tourner une grande partie de son film directement sous l’eau, une ambition assez inédite à l’époque. Dans cette aventure, il embarque avec lui le chef opérateur spécialisé dans les prises de vues sous-marines Al Giddings, connu pour ses documentaires sur la faune marine, mais aussi pour avoir dirigé des séquences aquatiques comme celles du thriller The Deep en 1977 ou de Rien que pour vos yeux en 1981. Cameron fait également appel à son frère ingénieur, Mike, qui va se charger de concevoir le matériel nécessaire pour éclairer des scènes sous l’eau, pour déplacer la caméra, pour communiquer avec les acteurs et les équipes techniques, etc. Bref, inventer une nouvelle façon de tourner un film.
Pour Titanic, Cameron pousse le souci d’authenticité encore plus loin. S’il a eu recours à quasiment toutes les techniques existantes pour représenter le célèbre paquebot – dont des maquettes de l’épave tournée en dry for wet –, la première chose qu’il a demandée à la Fox lorsqu’elle a donné le feu vert au projet, ça a été de lui confier 2 millions de dollars pour affréter un navire scientifique russe et descendre à 4 kilomètres de profondeur afin de filmer la célèbre épave comme personne ne l’avait fait avant lui, c’est-à-dire avec une véritable caméra 35 mm engoncée dans un habitacle inventé par Mike Cameron, et non au travers d’un hublot de verre comme c’était le cas auparavant.
James Cameron lui-même reconnaît que le fait de s’atteler à de nouveaux défis technologiques fait partie de ses motivations pour réaliser des films. Voici par exemple ce qu’il annonçait lors d’un petit discours à toutes ses équipes avant de débuter le tournage d’Avatar : « Je l’ai dit en plaisantant, mais ce n’est pas tout à fait faux : il m’a fallu onze ans depuis mon dernier film [Titanic] pour trouver un défi suffisamment intéressant, qui exige toute ma concentration. » Ce nouveau défi, c’est la performance capture, un système de captation qui enregistre numériquement et en trois dimensions les mouvements et les expressions faciales des acteurs, une technologie qui a forcé le cinéaste et son équipe à inventer de nouvelles méthodologies de tournage qui se sont beaucoup complexifiées lorsqu’il a décidé de retourner dans son élément de prédilection pour la suite de la saga : Avatar : La Voie de l’eau.
Pionnier, il l’est aussi au sens le plus littéral, puisque depuis sa première plongée vers l’épave du Titanic en 1995, il s’est passionné pour l’exploration sous-marine, sans pour autant perdre de vue l’un de ses plus vieux rêves : l’espace. Un rêve qu’il a d’ailleurs bien failli réaliser au tout début des années 2000, lorsqu’il a fait appel aux services d’un programme spatial russe privé pour aller réaliser un documentaire en 3D sur la vie et le travail des astronautes sur la station spatiale Mir. Le cinéaste a alors commencé un entraînement draconien, mais en 2001, après la faillite de la société gérant la station Mir, celle-ci est désorbitée, puis détruite. Qu’à cela ne tienne, il décide de se rabattre sur la Station spatiale internationale. Toutefois, comme le cinéaste le raconte lui-même dans l’ouvrage James Cameron : Histoire de la science-fiction, ce projet a connu un arrêt brutal lorsque la navette Columbia a explosé en rentrant dans l’atmosphère au début de l’année 2003, et que la NASA et les Russes n’étaient plus vraiment disposés à envoyer des civils dans l’espace. Cette catastrophe, le cinéaste l’a vécue de l’intérieur, car l’explosion tragique de la navette et la mort de son équipage étaient l’objet de sa première réunion en tant que membre du conseil consultatif de la NASA, qu’il a rejoint en 2003. Des années plus tard, le regard de Cameron s’est tourné vers la planète Mars. Il a ainsi travaillé sur l’installation de caméras 3D sur le rover Curiosity, mais l’équipe n’a malheureusement pas eu le temps d’équiper les lentilles sur le petit robot avant le lancement de la mission.
Retour dans l’océan, donc, où les aventures du cinéaste rencontrent beaucoup plus de succès, puisqu’il y a tourné trois documentaires entre 2001 et 2005 : Les Fantômes du Titanic, Expedition : Bismarck, et Aliens of the Deep. Puis, en 2012, il s’aventure dans la fosse des Mariannes à bord d’un prototype de sous-marin spécialement conçu pour cette plongée, avec pour objectif Challenger Deep : le point le plus profond jamais mesuré dans les océans. Pour l’occasion, il a fait équiper son sous-marin de caméras haute définition 3D pour pouvoir montrer au monde entier à quoi ressemble l’endroit le plus profond de la planète dans Deepsea Challenge 3D, l’aventure d’une vie, sorti en 2014.
Plus qu’un documentaire, Deepsea Challenge 3D constitue un véritable portrait du réalisateur. Le film s’ouvre par exemple sur des images fictives d’un jeune James Cameron qui s’enferme dans une boîte en carton en s’imaginant à bord d’un sous-marin, ou encore qui bricole un bathyscaphe avec une souris pour seule passagère, avant de l’immerger dans la rivière Chippewa à quelques pas de chez lui. Car, oui, cette double vocation de pionnier du septième art et d’explorateur des fonds marins remonte à loin. Selon Cameron, les deux films qui l’ont poussé à faire du cinéma sont deux œuvres qui ont également ouvert de nouvelles perspectives cinématographiques : 2001, l’Odyssée de l’espace, puis, neuf ans plus tard, Star Wars. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a passé sa carrière à essayer d’être à la hauteur de ces deux œuvres majeures de la science-fiction. Dans un article intitulé « Kubrick Legacy », publié dans le magazine Rockyrama, on apprend que François Cognard, alors journaliste pour Starfix et invité sur le plateau d’Abyss, n’hésitait pas à comparer James Cameron et Stanley Kubrick : « Obsession, compulsion, précision, besoin impérieux de construire les outils nécessaires à l’obtention d’images impossibles. Du cinéma d’ingénieur visant à conquérir les territoires inexplorés de l’image en mouvement. » Quant à Roger Ebert, l’un des plus célèbres critiques de cinéma aux États-Unis, il ouvre son analyse d’Avatar en expliquant que le film de Cameron lui a fait ressentir la même chose que lorsqu’il avait découvert Star Wars en 1977.
Du côté de l’exploration, James Cameron déploie la même énergie pour se hisser à la hauteur de ses modèles d’aventuriers. Il a ainsi développé des systèmes inédits de prise de vues sous-marines pour ramener des images extraordinaires des fonds marins, comme son idole Jacques-Yves Cousteau. Puis, des décennies après avoir vibré devant la plongée de Jacques Piccard et Don Walsh, qui furent les premiers à atteindre la fosse des Mariannes à bord d’un bathyscaphe appelé le Trieste, il a reproduit leur exploit en solitaire.
Avec le temps, l’image publique de James Cameron a donc évolué : du roi du box-office et des blockbusters, il est désormais connu comme un cinéaste aventurier, et le champ lexical de l’exploration se trouve régulièrement associé à son nom dans la presse, voire dans la pop culture. En 2012, juste après que Cameron effectue sa plongée vers Challenger Deep, la série satirique South Park met en scène une parodie de l’exploit du cinéaste dans le neuvième épisode de sa seizième saison, notamment au travers d’une chanson inspirée de La Ballade de Davy Crockett dont les paroles sont les suivantes : « Son nom est James, James Cameron, le plus brave des pionniers. Pas de budget trop serré, pas d’océan trop profond, qui est-ce ? C’est lui, James Cameron ! James, James Cameron, explorateur des mers, avec la soif d’être le premier. Est-ce possible ? Oui, c’est lui ! James Cameron. »
Ce champ lexical se retrouve même dans les titres de deux de ses plus importantes biographies : The Futurist: The Life and Films of James Cameron de Rebecca Keegan et James Cameron, l’odyssée d’un cinéaste de David Fakrikian. Le réalisateur est effectivement un « futuriste » qui explore de nouvelles technologies tant dans la conception que dans la narration de ses films, et chacune de ses œuvres est une véritable odyssée.
Enfin, son amour de la science puis de la science-fiction l’a amené à faire de la prospective au cœur même de ses films, et c’est donc tout naturellement que l’on fait appel à lui pour commenter les actualités qui entrent en résonance avec ses œuvres. En 2023, lorsqu’un sous-marin touristique implose avec ses passagers aux abords de l’épave du Titanic, il est l’un des premiers intervenants à donner son analyse de la catastrophe et établit un parallèle avec le destin tragique du gigantesque navire : « Je suis frappé par les similitudes avec le naufrage du Titanic, où le capitaine a été averti à plusieurs reprises à propos de la glace, et pourtant, il a foncé à toute allure dans un champ d’icebergs. »
Quoi de plus naturel que de faire appel au réalisateur des deux premiers Terminator pour commenter l’essor de l’intelligence artificielle ? Sur la chaîne canadienne CTV, il plaisante même sur le sujet : « Je vous avais prévenus en 1984, mais vous ne m’aviez pas écouté ! » Puis, plus sérieusement, il fait le lien avec une autre menace au cœur de quatre de ses films, Terminator, Abyss, Terminator 2 et True Lies : « Je pense que la militarisation des IA est le plus grand danger. Je pense qu’on va arriver à un équivalent de la course à l’armement nucléaire avec l’IA. » Il a été sollicité de la même manière après Avatar sur les questions du dérèglement climatique, puis sur l’état de nos océans après Avatar : La Voie de l’eau.
Bref, que ce soit dans sa manière de faire du cinéma, dans ses œuvres ou même dans sa vie personnelle, James Cameron est définitivement un pionnier. Le cinéaste a même envisagé à plusieurs reprises de prendre sa retraite des plateaux de cinéma pour se consacrer exclusivement à l’exploration. En 2004, lors d’un symposium du conseil consultatif de la NASA, il déclare qu’après le succès de Titanic, il s’est rendu compte qu’il était de moins en moins intéressé par le cinéma et de plus en plus par l’exploration et la captation des fonds marins. Dans Deepsea Challenge 3D, Cameron va jusqu’à se demander s’il est un cinéaste dont le passe-temps est d’être un explorateur, ou inversement.
Force est donc de constater que cet angle du pionnier est incontournable lorsqu’on évoque la vie et la carrière du cinéaste. En revanche, pour parler de ses œuvres, de sa mise en scène, et surtout de son art de la narration, cet angle montre très vite ses limites, car, pour James Cameron, l’exploration sous toutes ses formes n’a jamais été une fin, mais un moyen : celui de raconter des histoires.
Un narrateur
Lorsque la NASA a demandé à Cameron de rejoindre son conseil consultatif en 2003, ce n’était pas tant du pionnier ou de l’explorateur dont ils avaient besoin, mais du storyteller, du raconteur d’histoires, afin de redonner le goût de l’exploration spatiale à un public encore secoué par la tragédie de Columbia. Voici d’ailleurs ce qu’en a dit le cinéaste en 2005 face à un parterre de professionnels de l’aérospatiale en Floride : « À tous les niveaux de la NASA, des personnes m’ont demandé ce qui pouvait être fait pour toucher le grand public. Eh bien, deux choses. Premièrement, mieux raconter l’histoire. Deuxièmement, avoir une meilleure histoire à raconter. »
L’importance qu’accorde James Cameron à l’art du récit se traduit très concrètement dans sa filmographie par le fait qu’il occupe le poste de scénariste (ou de coscénariste) sur tous ses films, qui sont presque tous des œuvres originales, à l’exception de True Lies qui est adapté de la comédie française La Totale ! de Claude Zidi. Certes, il n’est pas non plus l’auteur (ni même le scénariste) sur sa toute première expérience de réalisation : Piranha 2 : Les Tueurs volants, mais contrairement à ce que le générique laisse entendre, le véritable réalisateur de cette série B est le producteur italien Ovidio G. Assonitis, et James Cameron lui-même a lutté (en vain) pour que son nom soit retiré des mentions. Nous en reparlerons, mais pour le moment, nous pouvons écarter sans trop de regrets ce long-métrage de sa filmographie. L’autre œuvre qui pourrait faire figure d’exception est Aliens, qui, en tant que suite, est tributaire de l’univers posé par le chef-d’œuvre de Ridley Scott, mais aussi du roman Étoiles, garde-à-vous ! (plus connu sous son titre original : Starship Troopers) de l’écrivain Robert A. Heinlein, dont Cameron s’est inspiré. Pourtant, pour écrire le scénario d’Aliens, il s’est grandement appuyé sur l’un de ses vieux projets appelé Mother, dont il nous livre le synopsis dans l’imposant, mais passionnant livre TECH NOIR : L’art de James Cameron. Ainsi, Mother est un scénario de film de monstres qui se déroule sur la planète Vénus, alors en plein processus de terraformation. Pour réaliser cette tâche, les colons emploient une créature génétiquement modifiée capable de résister à l’environnement hostile de la planète. La créature échappe à tout contrôle, puis se déchaîne contre ses anciens maîtres. À l’arrivée, l’héroïne doit affronter seule à seule la créature à l’aide d’une sorte d’exosquelette qui préfigure le Power Loader que pilote Ripley à la fin d’Aliens. Quant au titre, Mother, il renvoie selon Cameron à l’affrontement entre deux mères, exactement comme dans Aliens, où Ripley se bat pour la survie de Newt, sa fille adoptive, face à la reine, la mère de tous les xénomorphes. Ce n’est pas la seule fois que James Cameron a puisé son inspiration dans ses vieux travaux. Abyss est, par exemple, adapté d’une nouvelle qu’il a écrite à 16 ans. Quant à Avatar, le film est en grande partie tributaire de son projet Xenogenesis coécrit avec son ami de longue date et collaborateur régulier Randall Frakes en 1978, et dont il a tiré le court-métrage du même nom. Dans TECH NOIR : L’art de James Cameron, le cinéaste plaisante même en disant qu’il n’a jamais eu que trois ou quatre grandes idées dans sa carrière et qu’il se contente de les recycler.
Comme pour son amour de l’exploration, cette vocation littéraire de storyteller remonte à loin pour James Cameron, car en plus d’être un gamin fana de sciences, il était également amateur de science-fiction. Randall Frakes se rappelle que, lorsqu’il a rencontré Cameron à l’université, ce dernier était un lecteur vorace qui lisait parfois un livre par jour et qui écrivait aussi des nouvelles de science-fiction. C’est d’ailleurs Frakes qui, impressionné par le style immersif de son ami, l’a aiguillé vers l’écriture de scénarios pour le cinéma.
En parallèle, James Cameron faisait preuve d’un talent impressionnant pour la peinture et le dessin, et ce, dès ses plus jeunes années. Un de ses nombreux petits boulots fut par exemple de dessiner des jaquettes de films de série Z qu’il ne prenait même pas la peine de regarder tant ils étaient mauvais. Si ce travail était avant tout alimentaire, il lui a néanmoins permis de découvrir que son style de peinture s’avérait très narratif, ce qui fonctionnait parfaitement bien pour la conception d’affiches. Cette fibre narrative, Cameron en parle lui-même dans TECH NOIR : L’art de James Cameron : « […] En revoyant mes vieux travaux, je me rends compte que j’avais un vrai désir de raconter des histoires. Et je ne le faisais pas en cinq dessins différents – j’essayais d’y parvenir en une seule image, qui créait un moment. Je pense que c’est un atout considérable pour un réalisateur […]. Souvent, vous devez faire passer des parties de l’histoire en une seule image, donc le fait de dessiner ce genre de croquis m’a donné de bonnes bases pour ce type de storytelling visuel. »
Cette prédisposition à la narration visuelle lui a en partie permis de mettre un pied dans l’industrie du cinéma, notamment en devenant directeur artistique (entre autres postes) chez New World Pictures, le studio spécialisé en séries B de Roger Corman. Comme Cameron l’explique lors d’une interview accordée à l’Academy of Achievement en 1998, c’est par la direction artistique qu’il a pu accéder au poste tant convoité de réalisateur, avant tout parce qu’il devait penser de manière visuelle, mais aussi parce qu’il essayait de raconter une histoire au travers de ses designs et de ses décors.
Néanmoins, cette vocation de narrateur ne se limite pas à ses œuvres de fiction, car ce qu’il va surtout chercher au fond des océans, ce ne sont pas seulement des records, des données scientifiques ou des images, ce sont des histoires dont les thématiques résonnent avec celles de ses propres films de fiction. On y retrouve entre autres sa fascination mêlée de méfiance envers le progrès scientifique et ses dérives. Par exemple, tant dans Les Fantômes du Titanic que dans Expedition: Bismarck, Cameron nous brosse le portrait de deux navires à la pointe des technologies de leur époque, dont les naufrages furent en partie causés par l’hubris de leurs propriétaires. Ce récit à la croisée entre les mythes d’Icare et de Prométhée rappelle celui des deux premiers volets de la saga Terminator, dans laquelle une intelligence artificielle, Skynet, se retourne contre ses créateurs et provoque une catastrophe aux résonances bibliques : le Jugement dernier. On trouve d’ailleurs des ressemblances dans les traitements des personnages de Miles Dyson, l’ingénieur responsable de la création de Skynet dans Terminator 2, et de Thomas Andrews, l’architecte du Titanic dans le film homonyme de 1997 ainsi que dans Les Fantômes du Titanic en 2003. S’ils sont tous deux inconscients des risques engendrés par leurs créations, Cameron les présente sous un jour plutôt positif : ils sont curieux, intelligents, passionnés, mais ils finissent tous deux par être broyés par le poids de leur culpabilité. Dans Expedition: Bismarck, on peut également s’amuser de la description du navire de guerre au cœur du documentaire, qui ressemble à un croisement entre le Titanic, un Terminator et un autre célèbre engin du cinéma de science-fiction : « C’était la machine à tuer ultime, l’Étoile noire de sa génération. Il était presque aussi long que le Titanic, mais il était plus large de trente pieds et si lourdement armé qu’il pesait presque deux fois plus lourd. »
Toutefois, pour Cameron, ce qui fait une bonne histoire, ce n’est pas tant le sujet, le décor ou le spectacle, car aussi impressionnantes et avant-gardistes que soient les images de ses films, elles sont systématiquement au service de ses récits et de ses personnages, comme il l’explique sur le site Internet Inc.com : « J’adore le processus d’innovation, mais je ne ferai jamais passer ça devant le fait de raconter une bonne histoire […]. Je passe beaucoup de temps à écrire, je passe beaucoup de temps à réfléchir aux personnages, je suis un narrateur. »
Un narrateur… clivant
Notre enquête avance enfin : que ce soit en tant qu’artiste, réalisateur ou même en tant qu’explorateur, James Cameron est mû par l’envie, voire le besoin de raconter des histoires. C’est un narrateur. Le souci, c’est que cette facette du cinéaste se révèle également la plus controversée. Si les spectateurs et les critiques s’accordent sur le fait que Cameron n’a pas son pareil pour créer des spectacles titanesques au cinéma, les avis concernant ses talents de scénariste sont beaucoup plus polarisés. Pire, malgré l’importance qu’accorde Cameron à la narration dans ses films, certains critiques et certains spectateurs considèrent au contraire qu’il s’agit là de son principal point faible… Par exemple, dans leurs biographies respectives du cinéaste, Rebecca Keegan et David Fakrikian citent tous deux la critique particulièrement violente de Titanic par Kenneth Turan du Los Angeles Times, intitulée « Le Titanic coule à nouveau », dans laquelle il affirme : « La seule chose qui met la larme à l’œil, c’est l’acharnement de James Cameron à croire qu’il a les capacités pour écrire ce genre de films. Non seulement il ne les a pas, mais en plus il en est très loin. » Toutefois, là encore, il faut se méfier des apparences.
Sur ce point, la réception de ses deux derniers films en date, Avatar et Avatar : La Voie de l’eau, fait office de cas d’école, d’une part, parce que leur succès a pris tout le monde de court, d’autre part, parce qu’ils sont sortis après l’explosion des réseaux sociaux durant les années 2000, dont les algorithmes ont contribué à polariser encore plus les avis des cinéphiles et du grand public. L’accueil de ces deux films fut pourtant très positif. Non seulement ils se sont hissés à la première et à la troisième place des plus gros cartons au box-office mondial, mais les critiques furent globalement très élogieuses dans la presse généraliste et spécialisée. Néanmoins, les quelques voix discordantes se sont presque toutes concentrées sur l’histoire des films et leur scénario, en leur reprochant leur simplicité et, surtout, leur manque d’originalité. Pour le Seattles Times, Avatar : La Voie de l’eau est, comme son prédécesseur, un décalque de Danse avec les loups dans l’espace, en plus stupide. Pour le Huffington Post, James Cameron se serait contenté de pomper entièrement le dessin animé Pocahontas de Disney. Pour le Daily Beast, La Voie de l’eau est dans la lignée du premier volet : un film qui se voudrait être une épopée repoussant les limites du cinéma au service d’une bouillie narrative à la Pocahontas. Même la série satirique South Park y est allée de son commentaire sur l’histoire, puisque le treizième épisode de sa treizième saison est construit autour d’un pastiche d’Avatar appelé Danse avec les Schtroumpfs. Enfin, Le Telegraph nous offre une synthèse des critiques récurrentes faites aux deux premiers volets de la saga en une phrase lapidaire : « C’est juste Danse avec les loups dans l’espace, ou Pocahontas avec des Schtroumpfs entraînés par le Cirque du Soleil. »
De prime abord, on pourrait se demander en quoi c’est un problème que James Cameron propose une relecture de Danse avec les loups ou de l’histoire de Pocahontas. Après tout, Terrence Malick avait lui aussi réalisé une version très romancée de l’histoire de la célèbre autochtone avec Le Nouveau Monde, sorti quatre ans avant Avatar. Et je ne suis pas sûr que le Telegraph dirait aujourd’hui de Star Wars qu’il n’est qu’un film de chevaliers dans l’espace, ou qu’il n’est que La Forteresse cachée d’Akira Kurosawa avec des robots entraînés par Flash Gordon.
On pourrait également rappeler aux détracteurs d’Avatar que l’originalité n’est pas un critère suffisant pour juger de la qualité d’un film et de son scénario. C’est par exemple ce que nous explique l’essayiste Michel Chion dans son ouvrage Écrire un scénario, en faisant notamment une distinction capitale entre l’histoire d’un film et la manière dont celle-ci est racontée : « Cet art de la narration peut, à lui seul, donner de l’intérêt à une histoire sans surprise. Inversement, une mauvaise narration gâche l’intérêt d’une bonne histoire. »
Ainsi, ce dont on se rend vite compte, c’est que les critiques se concentrent bien plus sur l’histoire d’Avatar en elle-même plutôt que sur la manière dont elle est racontée. Par exemple, en décembre 2009, le magazine Forbes a publié sur son site Internet un article dans lequel l’auteur semble particulièrement piqué au vif par le message du film de James Cameron : « D’une certaine façon, le capitalisme est le méchant d’Avatar. Pourtant, ce que James Cameron échoue à comprendre, c’est que le capitalisme représente un mode de vie bien plus noble et héroïque que celui des Na’vis. » Dans le même registre, si l’on en croit les organes de presse officiels du Vatican, Avatar est un film spectaculaire aux images enchanteresses, mais dont le récit est simpliste et ne véhicule pas d’émotions véritables. Le film semble pourtant avoir provoqué une vive émotion au sein même du Vatican qui, par l’entremise de son porte-parole, l’accuse de remettre en cause le monothéisme en présentant la nature comme une divinité à part entière plutôt que comme une création à défendre. C’est là le principal paradoxe de la réception critique et publique des deux volets en date de la saga Avatar. D’un côté, les films sont principalement attaqués sur leur histoire simpliste, sans substance et stéréotypée ; de l’autre, depuis quatorze ans, la saga de Cameron n’a cessé de provoquer les affects tant dans la presse que sur les réseaux sociaux. En 2013, lorsque James Cameron annonçait qu’il allait donner trois suites à Avatar, un nouvel élément de langage est apparu chez les détracteurs de la saga : plus personne ne se souviendrait d’Avatar. Les hostilités furent lancées par le célèbre blogueur Devin Faraci, qui a relayé l’annonce des trois suites avec beaucoup d’ironie sur le site birthmoviesdeath.com dont il était anciennement le rédacteur en chef : « Vous vous souvenez où vous étiez quand Avatar a tout changé ? Quand il a eu un impact tellement fort sur la pop culture que les enfants jouent encore aujourd’hui aux Na’vis pendant la récréation, quand Jake Sully est devenu un personnage iconique, quand il a lancé une vague de parents appelant leurs enfants Neytiri ? » Le site TheAtlantic.com lui a ensuite emboîté le pas dans un article intitulé « Est-ce que quelqu’un se souvient encore d’Avatar ? »
C’est le journaliste Scott Mendelson qui enfonce le clou dans un article du site Internet de Forbes intitulé « Il y a cinq ans, Avatar a rapporté 2,7 milliards de dollars, mais n’a laissé aucune empreinte dans la pop culture ». Il nous faudra nous poser la question de l’héritage d’Avatar dans les pages de cet ouvrage, et il est important de signaler que cet article n’est pas à charge contre le film de Cameron, il y est surtout question de sa portée commerciale, et notamment de l’absence de produits dérivés. Néanmoins, Scott Mendelson lui-même reconnaîtra sur le réseau social X (anciennement Twitter) en 2022 que cet article est devenu l’un des arguments principaux des détracteurs d’Avatar. En effet, ce texte a été partagé des milliers de fois depuis sa publication, et il a lui-même fait l’objet de vives réactions tant sur les réseaux sociaux que dans la presse. En 2022, ce furent cette fois les défenseurs d’Avatar qui ont repartagé l’article de Mendelson, non sans ironie, quand Avatar a de nouveau dominé le box-office mondial le week-end de sa ressortie en septembre de cette année. En réponse, Scott Mendelson a publié un nouvel article sur le site Internet de Forbes dans lequel il reste campé sur sa position, tout en concédant néanmoins que les scores de cette ressortie réfutent l’idée que plus personne ne se souciait d’Avatar. Puis il change finalement son fusil d’épaule après la sortie du deuxième volet sur le réseau social X, en publiant un GIF tiré du film À la recherche du bonheur, dans lequel on voit Will Smith visiblement bouleversé, qui applaudit au milieu d’une foule de passants. Selon Mendelson, ce GIF représente « le type qui a écrit ce gros article sur le fait qu’Avatar n’a eu aucun impact sur la pop culture il y a huit ans et qui est en train de regarder Avatar : La Voie de l’eau franchir la barre du milliard de dollars en seulement deux semaines ».
Le paradoxe est digne de la saga Terminator : l’impact d’Avatar a été tel que l’article qui prétendait que le film de Cameron n’avait pas laissé de trace dans la pop culture… a lui-même fini par laisser une trace dans la pop culture. Encore une preuve qu’il ne faut jamais parier contre James Cameron. Comme le Jugement dernier qui hante les cauchemars de Sarah Connor, ses films sont des chocs qui éblouissent certains spectateurs, qui en aveuglent d’autres, mais une chose est sûre : personne ne peut échapper à la déflagration.
Cette fois, c’est la guerre
Qu’est-ce qui rend le cinéma de James Cameron si redoutable ? Pour son ami Randall Frakes, cela tient en partie à la personnalité atypique du cinéaste, comme il nous l’explique dans une interview accordée au site jamescamerononline.com : « Il est […] concentré, impitoyable et ambitieux. Pour lui, la vie est une guerre qu’on peut gagner en élaborant des stratégies. C’est le modèle darwinien de la survie du plus apte. Et comme il était aussi très talentueux, cette façon de voir les choses a plutôt bien marché pour lui ! » Cameron ne fait pas des films simplement pour son plaisir ou celui de ses spectateurs, il est un cinéaste animé par une mission. Ce n’est pas par accident qu’Avatar a suscité des réactions aussi démesurées. Le cinéaste compare d’ailleurs son film à un cheval de Troie dans James Cameron : Histoire de la science-fiction. Or, comme nous le verrons lorsque nous nous pencherons sur sa note d’intention, tous ses films adoptent plus ou moins ouvertement la stratégie du cheval de Troie, ce qui nous amène à la dernière facette de James Cameron : il est un cinéaste en guerre.
Le jeune James Cameron avait 8 ans lors de la crise des missiles de Cuba. La même année, il trouve un prospectus avec les instructions pour construire un abri antiatomique sur la table basse du salon. C’est une période qui va avoir une influence considérable sur son imaginaire, comme il l’explique à Rebecca Keegan dans The Futurist : « J’ai compris que le monde sûr et épanouissant dans lequel je croyais vivre n’était qu’une illusion, et que le monde tel que nous le connaissions pouvait disparaître à tout moment. » Il n’est donc pas étonnant que la guerre et le spectre d’une apocalypse nucléaire parcourent quasiment toute sa filmographie. La saga Terminator nous parle de l’affrontement entre les humains et les machines ; Avatar raconte la lutte des Na’vis contre les humains. Avec ses marines coloniaux surarmés perdus en plein territoire hostile, Cameron n’hésite pas à faire de son Aliens une allégorie de la guerre du Viêt Nam, un conflit dont il était aussi question dans Rambo 2, dont il avait écrit le scénario en même temps que celui d’Aliens. La guerre, c’est justement ce que les protagonistes d’Abyss veulent empêcher en tentant de désamorcer une ogive nucléaire qui menace une forme de vie non humaine dotée d’une technologie bien supérieure à la nôtre. Dans Titanic, c’est une véritable lutte des classes que Cameron met en scène, et même s’il ne s’agit pas d’un film de science-fiction, le naufrage spectaculaire du paquebot renvoie aux thématiques eschatologiques de ses précédents films. S’il est aussi question d’armes atomiques dans True Lies, c’est surtout autour d’une guerre des sexes que le cinéaste articule son récit. Pourtant, c’est bien de paix que parlent ses œuvres, une contradiction que le cinéaste résout de cette façon dans le recueil James Cameron: Interviews de Brent Dunham : « Je suppose que je crois en la paix par la puissance de feu supérieure. Je ne crois pas que la race humaine va subitement évoluer jusqu’au point où on pourra tous se prendre par la main en chantant Kumbaya. »
Qui veut la paix prépare la guerre. Cette philosophie qui nous vient tout droit de l’Antiquité se reflète dans ses films, mais également leur conception. Les rapports du cinéaste avec les studios sont loin d’être amicaux, et ce, même s’il leur a fait gagner des millions de dollars avec ses œuvres. Toujours dans le recueil d’interviews de Brent Dunham, il résume ses rapports avec le studio pendant la production d’Abyss en ces termes : « Je ne peux rien faire sans eux, mais ils ne peuvent rien faire sans moi, nous sommes donc forcés d’être cordiaux les uns envers les autres. C’est comme un mariage où vous essayez de protéger les enfants. » En vérité, la doctrine de la dissuasion nucléaire serait une comparaison plus juste, car nous verrons plus tard que James Cameron a une manière un peu plus véhémente d’exposer ce rapport de force et n’hésite pas à martyriser les émissaires des studios pour protéger ses films de leur ingérence.
Ses tournages sont également de véritables champs de bataille, comme nous l’explique David Fakrikian dès les premières lignes de James Cameron, l’odyssée d’un cinéaste : « Ce que les autres appellent l’enfer, il appelle ça chez lui. Les making-of sur le cinéma montrent souvent que tout se passe parfaitement bien dans le meilleur des mondes. Ce n’est pas la vérité. Réaliser un film, c’est l’enfer. C’est dur. C’est horrible. C’est une guerre. » Cette façon de faire sur ses plateaux fait partie intégrante du mythe de James Cameron. Dans Terminator : Anatomie d’un mythe d’Ian Nathan, le monteur Mark Goldblatt explique cela : « Jim n’est pas exigeant, […] il est super exigeant, d’accord ? Mais il n’exige rien de plus que ce qu’il peut faire lui-même. » Dans le même ouvrage, Linda Hamilton, l’interprète de Sarah Connor, raconte que le tournage du premier Terminator était tellement éprouvant qu’elle en est venue à se demander si le réalisateur n’était pas du côté des machines. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à faire le parallèle entre Cameron et l’assassin cybernétique venu du futur, et le cinéaste a été très vite affublé du surnom « Iron Jim ». Toujours dans le même champ lexical, le tournage de Terminator est une véritable guérilla urbaine où le cinéaste tourne avec les moyens du bord, parfois sans autorisation.
Si Iron Jim a fait traverser l’enfer à ses équipes techniques, il a néanmoins fédéré autour de lui une petite armée de fidèles qui l’ont suivi pendant une grande partie de sa carrière. Il y a ses amis Randall Frakes et William Wisher, ou encore Al Giddings, Stan Winston et Mark Goldblatt. On pourrait également citer le chef opérateur Russell Carpenter, le compositeur James Horner, le superviseur des effets spéciaux John Bruno, l’opérateur steadicam Jimmy Muro, le monteur Conrad Buff, les frères Dennis et Robert Skotak, qui ont réalisé des effets spéciaux sur presque tous ses films, la directrice de casting Mali Finn, la productrice Rae Sanchini ou encore le chef décorateur Peter Lamont, qui fut l’un des rares techniciens anglais à bien s’entendre avec le cinéaste sur le tournage mouvementé
