Sa pièce de théâtre, Eve Ensler (désormais « V », on y reviendra) l’a écrite et jouée pour la première fois en 1994 dans une petite salle underground de New York. Jamais une femme n’était montée sur scène pour clamer haut et fort un mot tabou de cinq lettres. Vagin. Pour le revendiquer, le célébrer. Ce texte cru, poignant et drôle sur la sexualité féminine est devenu un phénomène mondial*, toujours interprété dans plus de cent trente pays, dont les moins progressistes pour les femmes. L’édition française du texte (publiée chez Denoël) a été enrichie de onze monologues inédits. L’autrice nous a accordé un long entretien par Zoom, dans le chalet qui est son bureau, aux États-Unis. Eve Ensler s’est donc délestée d’Eve, prénom « fardeau », dit-elle, donné par son père violent et incesteur. Elle est V désormais. « Comme victoire, comme vulve, comme vagin. » Les monologues, pavés jetés dans la face du patriarcat, ont résonné tel un cri de guerre féministe dans les années 90. Autant dire dans le Vieux monde, celui d’avant #MeToo.
TRENTE ANS PLUS TARD, LA PIÈCE N’EST-ELLE PAS OBSOLÈTE?
Hélas, non. Mais le patriarcat est têtu. Elle se La France a été le pays occidental qui a le plus tardé à accueillir la pièce, qui a voulu en changer le titre pour enlever le mot « vagin ». Un choc pour elle. Dans notre pays, une femme sur deux a déjà subi des violences sexuelles, le cinéma vit, tardivement, son #MeToo, la justice enchaîne les non-lieux. La lutte des femmes remonte à loin et enfin, les structures de domination masculine tremblent. Mais force est de constater qu’elles sont toujours debout. Et dans l’intimité, au creux de nos sexes féminins, une révolution est-elle en marche? Zone de guerre et de plaisir, lieu de violence et d’extase, le vagin se révèle en 2024 plus que jamais politique. Témoignages troublants, déchirants, drôles, encourageants.
