Qui a tenté un jour l’exercice (ô combien délicat !) le sait bien : il n’y a rien de moins spontané ni de plus fabriqué qu’une lettre d’amour. quand elle est écrite par un écrivain dont le métier oblige, puisqu’il doit justifier d’un savoir-faire. Nous ne parlons pas seulement ici de la forme littéraire – par définition factice – du roman épistolaire, qui fut en vogue en France entre les XVIIeet XIXesiècles. Publié en 1669, est sans doute le plus célèbre d’entre eux. C’est aussi l’une des plus belles supercheries littéraires ! Il se présentait comme la traduction par le comte de Guilleragues de lettres authentiques écrites par une religieuse portugaise au marquis de Chamilly. On sait aujourd’hui que l’auteur des appels passionnés de Mariana Alcoforado, l’héroïne abandonnée qui aimait son amant n’était autre que le traducteur lui-même. Le plus piquant étant que Guilleragues fut un épistolier si habile, empruntant tantôt à Ovide, tantôt à la traduction par Grenaille de Chatounières des lettres d’Héloïse à Abélard, qu’on a cru pendant trois siècles à ses fables ! S’agissant des lettres en latin des amants malheureux du XIIesiècle, Héloïse finissant cloîtrée, Abélard émasculé, précisons qu’elles ont fait l’objet, au fil du temps, d’un travail de réécriture si intense qu’elles n’ont pas grand-chose à voir avec les traductions les plus connues, dont celle, au XVIIe siècle, de Bussy-Rabutin, lui-même « retraduit » par Alexander Pope et Joseph Feutry, puis par Charles-Pierre Colardeau, lesquels on fait d’un docte et prude échange épistolaire un « commerce de galanterie » bourré de mignardises et de hardiesses impensables au XIIe siècle.
Missives intimes LA FACE CACHÉE DE LA PLUME
Feb 22, 2024
5 minutes
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