Il est l’homme qui tire plus vite que son ombre et touche à coup sûr sa cible; il est l’homme capable de dessiner tout ce qui est possible, qui appartient au rayon « hors de la piste Achdé » de la série, avec les versions de Prudhomme, Bouzard, König et Mawil. Blutch est au dessin et au scénario (comme toujours dans ses BD) et a imaginé un Lucky Luke tombant de Charybde en Scylla – c’est du grec et assez peu du Far-West mais l’idée est là: il arrête un ado qui essayait de voler Jolly Jumper, se fait tirer dessus par une gamine et son frère, est le témoin de l’explosion d’une maison puis tombe sur un magot, une famille en fuite, des bandits pas manchots, etc. Blutch a le récit alerte et la ligne suffisamment claire pour s’amuser des aventures luckyennes. Son trait ressemble à du Morris gavé aux dessins animés classiques. Mais c’est bel et bien du Blutch. On sait l’homme fin connaisseur du neuvième art et il revisite ici toutes les figures du héros inventé par Morris rapidement épaulé par Goscinny: le shérif et sa prison, le saloon et ses danseuses, les bigotes et l’institutrice, l’Indien et le colonel… En passant par Rubbish Gulch (« le ravin des déchets », drôle de nom pour un bled même dans le grand Ouest), Blutch en profite pour lancer quelques saillies sur l’époque actuelle et griffer le populisme ambiant. C’est fait avec légèreté. Comme tout le reste. Les indomptés: autant Blutch et Luke finalement.
