Sam Shepard & Johnny Dark, Correspondance 1972-2011
Médiapop
n a, en France, une image tronquée de Sam Shepard et de sa carrière, on le connaît pour le rôle qui lui valut sa seule nomination aux Oscars, l’aventurier pilote Chuck Yeager dans “The Right Stuff”, mais peut-être plus encore parce que, rarissime cas où un homme brillant reste surplombé par la plus grande célébrité de sa star de compagne, il était le mari de la sublime Jessica Lange. C’est pourtant comme un artiste d’avant-garde et un dramaturge célébré que les Anglo-Saxons le connaissent depuis ses ils n’essaient même pas de comprendre la source de cette véritable fraternité qu’ils soulignent souvent, dans leurs lettres comme dans les œuvres de Shepard, mais ils correspondirent pourtant toute leur vie, l’un sur les routes de la gloire après avoir quitté femme et enfant et vie peinarde pour la belle Jessica, et l’autre, pourtant doué et brillant, choisissant délibérément une vie modeste dans un coin reculé tout en écrivant, photographiant, grattant, sans aucun but de publication. Cette longue correspondance, publiée aujourd’hui par Médiapop, révèle évidemment Shepard sous un autre jour, quoique tout aussi complexe que ce qu’on attendait de ce cow-boy nonchalant, chantre de la contre-culture, beau gosse à conquêtes et remords consécutifs, seul capable de passer du rock’n’roll au drame grec à bas bruit chez les ploucs et d’en tirer les plus belles pièces de théâtre américain du XX siècle. Du guru mystique Gurdjieff dont ils essayaient vainement de suivre les sages principes — les sixties, baby — aux évocations des nombreuses séances passées et futures de picole et de défonce — les sixties, baby —, ou de leurs lectures de Beckett ou Kerouac — leurs obsessions littéraires respectives —, leurs lettres montrent leurs tourments moraux comme leurs tourments créatifs et offrent un exceptionnel regard sur la genèse et la création de l’œuvre de Shepard. Et ce n’est pas toujours facile parce que, parfois, on tombe sur un Wim Wenders qui se passionne bizarrement pour les fils de lampe au lieu d’écrire. Et pourtant, dans ces échanges, bavards ou laconiques, mais toujours libres et honnêtes, c’est bien leur fidélité qui est la plus émouvante, leur parfaite égalité alors que leurs statuts sociaux sont si différents — Dark travaillait dans un supermarché quand son pote foulait les tapis rouges du monde mais jamais on ne le ressent dans ce magnifique dialogue ininterrompu entre ces deux frères d’âmes, poètes, torturés mais rois du cool. On était déjà sensible au charme de Shepard mais on vous prévient, en refermant le livre, c’est peutêtre quand même Johnny Dark — non mais ce nom parfait — qui vous laissera le plus touché et curieux.