DANS LE JARDIN DE MASAMI CHARLOTTE “VOIR S’ÉPANOUIR LE MAGNOLIA DE SOULANGE, MA FLORAISON PRÉCOCE PRÉFÉRÉE”
« Pour trouver ma petite ferme florale, il faut traverser un cimetière, puis emprunter une allée bordée d’arbres de Judée (). Au bout, derrière une porte verte, le champ se réveille, plante après plante. fleuriront en avril ou en mai et, comme chez certains autres végétaux qui s’épanouissent au printemps, leurs fleurs écloront avant l’arrivée des feuilles. Le début de la saison agricole m’est dicté par ces hâtives, si pressées d’exister qu’elles s’invitent à la vie sans attendre la feuillaison. Le premier à lancer l’alerte florale, c’est le petit prunier près de la serre: il m’annonce à la mi-février le début de mon calendrier des semis. Ensuite, les noisetiers et les saules de la haie, puis les forsythias, le cognassier du Japon, le pommier de l’Himalaya, qui ont tous en commun cette impatience de vivre. Ce phénomène est si joliment visible au printemps qu’il semble presque banal. Pourtant, c’est un comportement plutôt rare en botanique, à tel point que les termes pour le décrire oscillent selon les glossaires: on les dit hystérantheuses (du grec hysterizo, ce qui vient après, et anthos, fleur) mais aussi proteranthées (de proto, premier). Un flou étonnant autour d’une stratégie pourtant très calculée: fleurir sans feuilles, c’est investir dans la reproduction, le plus tôt possible dans l’année, toutes les ressources accumulées de l’année précédente et conservées pendant l’hiver. Or, une fleur détruite par les gelées de printemps ne donnera pas de graine. Pourquoi ce pari énergétique si risqué? Parce que les sources de pollen et de nectar concurrentes se font encore rares à cette époque de l’année et qu’on aura de grandes chances d’attirer à soi beaucoup d’insectes, essentiels agents de la fécondation. Et sans l’obstacle des feuilles, le vent pourra mieux circuler entre les branches et mieux propager les grains de pollen. Au champ, je vais devoir m’armer de patience pour voir ma floraison précoce préférée. Planté l’année dernière, un jeune magnolia de Soulange va avoir besoin de quelques années encore pour montrer ses fleurs violacées. Pourquoi lui plus qu’un autre? Pour fêter nos racines communes: c’est une plante apparue en Île-de-France, née des travaux du botaniste Étienne Soulange-Bodin en 1826, à partir de magnolias venus d’Extrême-Orient. Une plante franco-japonaise donc, et tout à fait parisienne. »
