Un héritage en béton
Nous sommes en 1922. Le père Félix Nègre est curé de la paroisse du Raincy, à quelques kilomètres de Paris. En cette période difficile de l’après-guerre, il n’a qu’un souhait: faire bâtir une église qui puisse accueillir ses ouailles. Hélas ! il n’a en sa possession « que » 33 000 francs pour concrétiser son projet. Aucun architecte ne peut se contenter de cette somme. Sauf un… Un seul relève le défi, quitte à mettre lui-même la main à la poche. Son nom ? Auguste Perret. Ce visionnaire voit enfin l’occasion de donner ses lettres de noblesse au béton, ce matériau dont il n’a de cesse de vanter les qualités esthétiques et modernes, au-delà de son moindre coût. Marché conclu. Avec son frère Gustave, architecte lui aussi, il bâtit la première église en béton, encore aujourd’hui surnommée « la Sainte-Chapelle du béton armé. » Nul autre architecte ne saura prendre aussi bien la défense de ce matériau comme il le fi t dans cette déclaration datant de 1944. Le grand-père d’Auguste Perret était carrier en Bourgogne; son père, tailleur de pierre. Contraint de fuir Paris après avoir été condamné à mort à la suite de sa participation à la Commune, ce dernier, Claude-Marie, s’est installé avec son épouse Pauline en Belgique. C’est à Bruxelles que naît Auguste en 1874, bientôt fl anqué de deux petits frères: Gustave, né en 1876, et Claude, en 1880. De retour à Paris, Claude-Marie tient à ce que ses fistons reçoivent une éducation laïque et il les inscrit à l’École alsacienne. Le soir, pour rentrer à la maison, les trois frères arpentent les rues de la capitale haussmannienne en pleins travaux. C’est là que germe chez l’aîné l’idée folle de devenir un jour architecte, comme pour donner une suite logique à la destinée de ses ancêtres.