Les petits plaisirs de la liberté retrouvée
ROUGE VIF
ANNE ROUMANOFF
est maussade pour un mois de mai, les terrasses se sont répandues sur les trottoirs. Des palettes en bois un peu partout. Encore moins de place qu’avant pour se garer mais on s’en fout. Avenue de Wagram, la terrasse d’un restaurant s’étale jusque devant l’entrée du coiffeur. La ville bouillonne d’une énergie retrouvée. Les magasins ont rouvert, sauf ceux qui affichent On garde sa doudoune mais on est tellement contents d’être là, assis ensemble. La serveuse en chemisier blanc apporte l’ardoise. Brouhaha de la convivialité retrouvée. On dévisage les clients démasqués. Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu autant de bas de visage à l’air libre. Un garçon de 8 ans qui dévore un hamburger, sa mère qui picore des frites dans son assiette , deux copines qui boivent un spritz en se racontant des histoires de mecs qui les font glousser bruyamment, trois jeunes avocats ambitieux en costume et une jeune femme en tailleur avec de la séduction dans l’air, un couple usagé qui mange dans un silence maussade, un couple tout frais qui se dévore des yeux en oubliant presque de manger, un couple Tinder qui s’observe furtivement entre deux tapas, on les entend penser une femme seule qui tient ostensiblement un livre pour montrer qu’elle a une vie intérieure riche, l’homme d’affaires agité qui parle seul à son oreillette : Un serveur qui dit : On frissonne et on commande un thé chaud. Bribes de conversations. Une averse aussi violente que fugitive. Les femmes poussent de petits cris, les hommes grommellent : On se rassied sur les sièges un peu mouillés et on sourit un peu bêtement. C’est un des effets secondaires de l’épidémie, prendre un repas en terrasse sous le vent et la pluie nous émerveille.
Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.
Démarrez vos 30 jours gratuits