Rolling Stone France

L’exilé parle

Extrait de Rolling Stone n° 89, 19 août 1971

Keith joue dans un groupe de rock’n’roll. Anita est une reine du grand écran…

Ils résident actuellement dans une imposante maison de marbre blanc que tout le monde qualifie de “décadente”. L’amiral anglais qui l’a construite a fait venir des arbres du monde entier par bateau. Il y a un oiseau exotique coloré dans une cage dans le jardin de devant et un lapin nommé Boots qui vit dans celui de derrière. Le chien, Oakie, dort où il veut.

Les repas sont la seule réalité récurrente, et il n’est pas rare d’être vingt-trois à table. Il y a neuf mètres de hauteur sous plafond et, certains soirs, une lumière rose plane sur la baie et la ville voisine de Villefranche-sur-Mer, qui attend le retour de la flotte afin que ses hôtels se transforment à nouveau en bordels.

Il y a une plage privée en bas d’un escalier et un water bed sur la véranda. Tendre est la nuit, de F. Scott Fitzgerald, et les hits des Shirelles sont de bons points de référence pour toute cette mise en scène. On trouve un piano dans le salon et des guitares dans la pièce voisine. Entre George Jones, Merle Haggard, Buddy Holly et Chuck Berry, Keith Richards réussit à glisser un riff de temps à autre, comme sur une grande version acoustique de “The Jerk”, des Larks, un matin, à 4 heures.

Le studio d’enregistrement sera bientôt achevé au sous-sol, et les Stones iront travailler sur des morceaux du nouvel album, Mick Jagger étant rentré de sa lune de miel. Puis ils vont tourner aux États-Unis. Mick est en grande partie sur les bandes, au second plan.

Deux déclarations fortes, faites par Keith, doivent rester à l’esprit en lisant ces questions et réponses (échangées sur une période de dix heures, à des horaires étranges).

C’est une bonne maison ; on fait de notre mieux pour la remplir de gamins et de rock’n’roll.”

“Tu sais ce qu’a dit Blind Willie ? ‘Je n’aime pas les costumes et les cravates/Ils ne semblent pas en harmonie.’”

Que faisais-tu aux débuts des Stones ?

J’étais en école d’arts. Oui. En banlieue. En Angleterre, si tu as du bol, tu vas dans une école d’arts appliqués. On te met là quand on ne peut pas te caser ailleurs, si tu ne sais pas scier du bois ou limer le métal. On m’a mis là pour apprendre le graphisme, parce qu’il se trouve que j’étais doué pour dessiner des pommes ! À 15 ans… Je suis resté là trois ans et, pendant ce temps, j’ai appris à jouer de la guitare. Il y a beaucoup de guitaristes en école d’arts. Et de mauvais artistes aussi. C’est marrant.

Tes parents ne jouaient pas de musique ?

Non. Mon grand-père, si. Il avait un groupe de bal dans les années 1930. Il jouait du saxo. Il a été dans un groupe country à la fin des fifties, il jouait dans les bases US, en Angleterre. Gus Dupree… King of the Country Fiddle. C’était un bon musicien… Il n’a été professionnel que quelques années.

Que faisait ton père ?

Il a eu diverses professions. Il a été boulanger un moment. Je sais qu’il a été blessé pendant la Première Guerre mondiale. Gazé, je crois.

As-tu grandi dans la classe moyenne ?

Non, dans la classe ouvrière anglaise… qui galérait pour faire partie de la classe moyenne. On s’est installés dans un quartier dur quand j’avais environ 10 ans. Avant, je vivais près de chez Mick. Puis j’ai déménagé dans ce qu’on appelle “une cité” aux États-Unis. Fraîchement construite. Des milliers et des milliers de maisons. Tout le monde se demandant ce qui se passait. On était tous déplacés. La construction continuait et, vraiment, il y avait des gangs partout. Jusqu’aux Teddy Boys. Juste avant que le rock’n’roll arrive en Angleterre. Mais ils l’attendaient tous. Ils s’entraînaient.

Tu en faisais partie ?

À l’arrivée du rock’n’roll, oui. Avant ça, je me faisais tout le temps tabasser. J’ai appris à encaisser les coups de poing.

C’est étrange, parce que j’ai connu Mick quand j’étais très jeune… 5, 6, 7 ans. On traînait ensemble. Puis j’ai déménagé et je ne l’ai plus revu pendant longtemps. Je l’ai juste croisé une fois, il vendait des glaces devant la bibliothèque. J’en ai acheté une. Il tentait de gagner de l’argent de poche.

Le rock’n’roll est arrivé en Angleterre vers 1953-1954, tu avais 11 ans…

Oui. Presley a commencé. En fait, ça a d’abord été la musique de Blackboard Jungle, “Rock Around the Clock”. Les gens disaient : “Ah, tu as entendu ça ?” Parce qu’en Angleterre, on n’avait jamais rien entendu. C’était toujours la même scène : la BBC contrôlait tout. Puis tout le monde a défendu cette musique. Je ne pensais pas à en jouer. Je voulais juste en écouter. Ça a pris un an environ avant que des Anglais puissent jouer cette musique. Les premiers gros trucs étaient du skiffle – simple, sur trois accords. Ce n’était pas vraiment du rock’n’roll. C’était bien plus folky. Des basses en caisse à thé. Un rock’n’roll très grossier. Lonnie Donegan est le seul mec qui est sorti du skiffle. Mais on écoutait vraiment tout ce qui venait de l’autre côté de l’Atlantique. Little Richard, Presley et Jerry Lee Lewis étaient ceux qui marchaient. Chuck Berry n’a jamais été si connu que ça en Angleterre. On aimait, mais… Tous ses gros hits ont marché… mais, c’est peut-être parce qu’il n’est jamais venu. Peut-être parce que les films qu’il a faits, comme Go, Johnny, Go !, ne sont jamais passés ici à cause de problèmes de distribution. Fats Domino était célèbre, Freddie Bell and the Bellboys aussi ; toutes sortes de gens étranges qui n’ont jamais percé en Amérique.

As-tu commencé à vraiment jouer à l’école ?

Oui. C’est drôle de revenir en arrière comme ça. Des choses reviennent mais… Tu sais qui est très doué pour faire remonter des souvenirs ? Bill Il a le genre d’esprit qui mémorise tout. Je suis sûr que c’est comme s’il enregistrait. C’est quelque chose

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