Les mille et une vies du port de Beyrouth
CAMILLE NEVEUX Envoyée spéciale Beyrouth (Liban)
En conduisant le long de l’autoroute qui ceinture le port, dix semaines après la double explosion du hangar numéro 12 qui a coûté la vie à 204 personnes et en a blessé au moins 6 500, Lévon Nordiguian n’en revient toujours pas. Lui qui, enfant, dévalait ces rues vallonnées pour plonger dans la baie voit désormais un paysage atrophié : des silos à grain éventrés d’un côté, des immeubles soufflés de l’autre, le tout entouré de tonnes de débris. En soixante-treize ans de vie dans son voisinage, jamais cet archéologue n’aurait imaginé vivre l’essor du port de Beyrouth, sa lente décadence entre corruption et clientélisme puis sa brutale chute. À l’image des maux qui gangrènent le Liban.
Ce matin d’octobre, lorsque le directeur septuagénaire de la photothèque de la Bibliothèque orientale à l’université Saint-Joseph lève la tête vers les grues enchevêtrées, il préfère se rappeler les temps heureux, format carte postale. « Dans les années 1950, son périmètre était bien plus petit, sourit-il. Lévon Nordiguian se souvient du modeste logement où il est né, à quelques dizaines de mètres à l’est de l’enceinte actuelle, dans le quartier de Karantina. Un lazaret y avait été créé en 1834 pour la mise en quarantaine des voyageurs, d’où son nom. Le faubourg a depuis hébergé des vagues de réfugiés – arméniens dans les années 1920, comme sa famille, palestiniens dans les années 1940, syriens depuis 2011. se remémore-t-il. Des ruelles serpentant autour de bâtisses à trois arcades, si typiques des constructions ottomanes du XIX siècle, aujourd’hui en voie d’effondrement.
Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.
Démarrez vos 30 jours gratuits