Fabriquer une montre
Patience et précision
«Vous serez en mesure de le faire», me dit un homme trop confiant dans la pièce bien éclairée d’une ville médiévale près de la frontière suisse allemande à l’été 2015. «Je peux vous garantir à 99,98% que vous êtes capable de le faire par vous-même.»
Devant moi, sur un bureau bas, se trouve une boîte d’outils: une loupe sur un fil enroulé qui s’attache à ma tête et qui me donne l’air d’un génie maléfique; une «pince» plus lourde et plus nette que celle utilisée pour trier les timbres; un tournevis avec une pointe si mince qu’elle existe à peine; un bâton en bois recouvert de daim; une brindille rose en plastique de la taille d’un cure-dent; un plateau compartimenté bleu en plastique qui ressemble au couvercle d’un café à emporter. Et puis il y a l’instruction: «Si vous perdez ou laissez tomber quelque chose, n’essayez pas de le trouver, c’est mission impossible.» Et «nous ne touchons jamais, au grand jamais, le mouvement avec nos doigts. Pourquoi? La transpiration. Votre sueur commencera à ronger la décoration du mouvement dans environ un à deux mois, et alors vous pourrez jeter la montre.»
Oui, je suis sur le point de fabriquer une montre. Je vais démonter un mouvement standard en retirant les vis, les ponts et les roues dentées, puis je vais essayer de le remonter en utilisant ma mémoire, en faisant appel à ma dextérité et au savoir de mon instructeur, Christian Bresser. «Chaque fois que vous voyez des ressorts dorés, prière de ne pas les retirer. L’un de mes collègues qui ne faisait pas attention a libéré cette roue. C’était à pleine puissance, et la roue a giclé directement dans ses yeux, le rendant aveugle. Donc mieux vaut faire attention.»
Monter une montre mécanique standard est une chose assez facile, car elles sont toutes faites selon le même schéma. Un ressort principal spiralé (actionné par le remontage ou d’autres moyens) met en mouvement une collection de roues, qui à leur tour provoquent l’oscillation d’une roue de balancier plusieurs fois par seconde. Cette oscillation est régulée par un autre train d’engrenages connu sous le nom d’échappement, le mécanisme qui fait tourner les aiguilles d’une montre – l’aiguille des heures deux fois toutes les 24 heures, l’aiguille des secondes une fois par minute. Mais devant moi sur la table il y a bien sûr quelque chose de plus compliqué que cela: 150 ans de sophistication horlogère, un art si raffiné et complexe qu’il faisait plisser les yeux et jurer un horloger pendant 10 ans avant de se montrer digne de la tâche. Pour ma part, j’ai exactement 50 minutes pour fabriquer ma montre.
Le siège d’IWC (personne ne l’appelle plus l’International Watch Co) se trouve à Schaffhouse, à 40 minutes de route au nord de Zurich, sur les rives du Rhin, qui a été source d’énergie, de transport et d’inspiration depuis que la société s’y est établie à la fin des années 1860. Depuis près de 150 ans, IWC fabrique des montres élaborées et chères pour une clientèle exigeante et fidèle, et sa gamme actuelle ne permet pas à un débutant de fabriquer une telle montre en 50 minutes. Il y a, par exemple, la Portugieser Minute Repeater, avec sa réserve de marche de 46 heures, un balancier Glucydur en alliage de béryllium et une commande à coulisse qui fait sonner l’heure, le quart d’heure et la minute avec deux gongs mélodieux (un mécanisme constitué d’environ 250 composants à lui seul), disponible dans un boîtier en platine et agrémentée d’un bracelet en alligator pour la modique somme de 93’000 euros. Il y a l’élégante Portofino, une pour les dames, comme la Midsize Automatic Moon Phase avec son boîtier en or rouge de 18 carats et 66 diamants, avec 12 autres diamants sur le cadran en nacre (sous lequel flotte un anneau affichant le mouvement de la Terre à travers les cieux), au prix de 33’244 euros. Il y
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