Le passage à la vie adulte des jeunes LGBTQ+: Perspectives intersectionnelles
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À propos de ce livre électronique
Le passage à la vie adulte, autrefois balisé par des étapes claires, est aujourd’hui un processus pluriel, composé de trajectoires diversifiées et façonné par des normes sociales en mutation. Cet ouvrage collectif explore cette transition à travers une perspective critique et inclusive, en mettant en lumière les expériences des jeunes LGBTQ+, souvent invisibilisées dans les recherches traditionnelles. Il remet en question les normes sociales, les rôles de genre et les représentations de la sexualité.
Il s’adresse aux étudiant·es, chercheur·es, intervenant·es jeunesse, professionnel·les des milieux éducatifs, communautaires et de la santé, ainsi qu’à toute personne intéressée par les questions entourant la jeunesse, la diversité sexuelle et la pluralité des genres.
Kévin Lavoie
Kévin Lavoie est professeur agrégé à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval, directeur scientifique du Centre de recherche Jeunes, familles et réponses sociales (JEFAR) et coresponsable du champ « Diversité sexuelle et pluralité des genres » au CREMIS.
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Aperçu du livre
Le passage à la vie adulte des jeunes LGBTQ+ - Kévin Lavoie
Introduction
Jeunesses en transition
Kévin Lavoie
Marie-Claude Richard
Lisandre Labrecque-Lebeau
Le passage à la vie adulte est considéré comme une étape charnière du développement humain et de la socialisation, traditionnellement marqué par de nombreux seuils et attentes normatives : le départ de la résidence familiale, la fin des études, l’entrée sur le marché du travail, la mise en couple et l’accès à la parentalité (Arnett, 2000). Des changements structurels et culturels ont toutefois contribué à embrouiller ces marqueurs, à diversifier les parcours et à faire émerger de nouveaux enjeux (Longo, 2016 ; Nelson, 2021). Dans ce processus dynamique du « devenir adulte » (Van de Velde, 2008), la personne acquiert progressivement une forme d’individualité qui s’actualise par des attitudes et des prises de décisions selon ses valeurs, ses croyances et ses aspirations. Ces changements provoquent une évolution des attentes et des rôles associés au développement de l’autonomie affective, résidentielle et financière. Les réflexions autour des rôles de genre et de la sexualité sont centrales à la vie des jeunes adultes (Cooper, 2011 ; Lucas, Poulin et Boislard, 2024).
Ces préoccupations sont influencées par plusieurs éléments, dont le soutien familial et la qualité des relations avec les pairs (Bidard, 2008 ; Goyette, 2010). Le passage à la vie adulte implique aussi un accès à des modèles relationnels, à des représentations et à un vocabulaire permettant de se projeter dans l’avenir et de se définir, notamment sur les plans des identités de genre et des orientations sexuelles et affectives (Villatte, Marcotte et Marcotte, 2019). Ces deux facettes identitaires sont façonnées entre autres par l’hétérocisnormativité, c’est-à-dire les attentes sociales et culturelles qui affectent les personnes de manière différenciée en fonction de leur sexe assigné à la naissance et qui contribuent à établir ce qui est considéré comme « normal » sur le plan des corps, des comportements et des identités (Bastien Charlebois, 2011 ; Richard, 2018). Ce système normatif confine à la marge certains parcours de vie, tels que ceux vécus par les jeunes lesbiennes, gais, bisexuel·les, trans et queers (LGBTQ+), ou ceux vécus par les personnes non binaires¹ ou genderqueer, dont l’identité est perçue comme ambiguë au regard de la binarité du genre (Bower-Brown, Zadeh et Jadva, 2023 ; Lavoie et Richard, 2021).
Les violences et les discriminations subies par les personnes LGBTQ+ sont de plus en plus analysées en fonction de divers rapports de pouvoir. Ainsi, l’étude des dynamiques d’hétérosexisme et de cissexisme ne peut se faire sans tenir compte de la manière dont les personnes queers et trans sont simultanément affectées par d’autres formes d’oppression, telles que le racisme, le validisme ou les inégalités socioéconomiques. Par exemple, une femme lesbienne racisée peut être confrontée aux effets conjugués de la lesbophobie dans le réseau sociosanitaire et des préjugés racistes qui compliquent son accès à des services de qualité (Chehaitly, Rahman et Chbat, 2020 ; El-Hage et Lee, 2016). De même, une personne queer en situation de handicap peut faire face à des environnements LGBTQ+ non inclusifs, où l’accessibilité physique ou cognitive est rarement pensée, l’isolant de manière spécifique (Baril, Pullen Sansfaçon et Gelly, 2020). Sur le plan socioéconomique, des jeunes LGBTQ+ rejeté·es par leur famille peuvent se retrouver en situation de précarité, exposé·es à des formes d’exploitation, avec peu de ressources adaptées pour les soutenir (Meyer, 2015). Lorsqu’elles examinent l’impact de l’âge sur les expériences LGBTQ+, les recherches se concentrent souvent sur l’intersection entre l’âgisme et l’homophobie, notamment dans les contextes de soins pour les personnes aînées. Cependant, peu d’études s’attardent sur ce qui se joue à l’intersection entre la jeunesse (et parfois le statut de minorité d’âges) et les identités queers ou trans. Être jeune et trans, par exemple, peut exposer à des obstacles spécifiques : être contraint·e de vivre dans un environnement familial hostile, ne pas pouvoir accéder à des soins d’affirmation de genre faute de consentement parental, ou subir du harcèlement scolaire sans recours adapté (Blais, Philibert, Bergeron et Hébert, 2018).
Dans le but de queeriser le champ d’études sur le passage à la vie adulte (Torkelson, 2012), cet ouvrage collectif réunit 12 chapitres mettant de l’avant des perspectives issues à la fois de la recherche, de la pratique et de savoirs expérientiels. Nous avons choisi de les regrouper en trois grandes thématiques. Les trois premiers chapitres abordent la question des normes et des parcours de vie qui façonnent le passage à la vie adulte. Les trois chapitres suivants mettent en lumière les enjeux de reconnaissance concernant la pluralité des genres, plus particulièrement la transitude et la non-binarité. Enfin, les derniers chapitres se penchent sur des pratiques sociales pertinentes aux situations d’adversité ou de marginalisation vécues par les jeunes LGBTQ+. L’ouvrage se conclut par un chapitre proposant des pistes d’analyse pour une reconsidération critique du modèle du passage à la vie adulte.
1. Normes, parcours et milieux de vie qui façonnent le passage à la vie adulte
Le passage à la vie adulte s’inscrit dans un processus de construction identitaire qui implique des choix aux conséquences durables sur les différentes sphères de vie (Nelson, 2021). Auparavant, être adulte impliquait de franchir une succession de seuils synchrones et inscrits de façon relativement linéaire dans le parcours de vie. Sous l’impulsion de transformations sociales majeures (allongement des études, effritement des modèles d’emploi traditionnels, report de la parentalité, diversification des configurations familiales), les parcours se sont individualisés, ce qui signifie surtout qu’ils se sont complexifiés (Becquet et Bidart, 2013). Les normes sociales qui sous-tendent les rôles sociaux sont désormais plurielles, reflétant des définitions plus ou moins explicites de la « réussite » et de la « normalité ». Inscrites dans les systèmes de valeurs dominants, elles représentent toujours des points de repère dans le passage à la vie adulte. En fonction notamment du contexte dans lequel iels évoluent et des ressources qu’iels sont en mesure de mobiliser, les jeunes pourront parfois se conformer à ces normes, parfois s’y inscrire en marge. Si elles façonnent les parcours de vie en orientant les choix des jeunes, la complexité des parcours exige de considérer d’autres facteurs en jeu, notamment la subjectivité des jeunes dont les parcours s’inscrivent en marge des normes sociales dominantes liées aux genres et aux sexualités.
Le chapitre 1, rédigé par Gabriel Bélanger et Marie-Claude Richard de l’Université Laval, présente les résultats d’un mémoire doctoral en psychologie. Cette recherche avait pour objectif principal d’explorer, à travers une approche qualitative et une perspective queer, l’expérience de la transition à l’âge adulte chez de jeunes personnes issues de minorités sexuelles et de genres (MSG) évoluant dans un contexte hétéro, cisgenre et binormatif. L’étude met en lumière les spécificités et les défis liés à cette transition, tout en donnant accès à la perception qu’ont ces jeunes des normes sociales en matière de sexe, de genre et d’orientation sexuelle. Elle décrit également les stratégies d’adaptation qu’iels mobilisent pour affirmer leur identité dans un environnement normatif. Ce chapitre enrichit la compréhension de la transition vers l’âge adulte chez les jeunes LGBTQ+ à plusieurs égards. D’une part, la diversité des identités représentées permet de dégager certains traits identitaires marquants dans cette étape de vie. D’autre part, il donne une place centrale à la parole des jeunes eux-mêmes, considérés comme les mieux placés pour témoigner de leur vécu. Enfin, il met en lumière leur résistance, leur créativité et leur capacité d’agir face aux normes sociales, dans une démarche visant à célébrer la queerness.
Dans les représentations sociales contemporaines, l’université occupe une place centrale en tant qu’espace transitionnel vers la vie adulte, même si elle est surtout considérée par une partie plus privilégiée de la population. Elle constitue un cadre de semi-autonomie permettant aux jeunes adultes de s’engager dans une exploration identitaire, tant sur le plan personnel que relationnel et professionnel (Arnett, 2014). Cette période est souvent marquée par la découverte de soi, notamment à travers l’expérimentation de différentes dimensions de l’identité, y compris la sexualité et le genre. Pour de nombreuses personnes étudiantes LGBTQ+, cette étape de l’entrée à l’université coïncide avec un éloignement du contexte familial et scolaire d’origine, souvent peu propice à l’affirmation de ces identités. L’université peut alors représenter un lieu opportun favorisant l’exploration de soi en dehors des normes et pressions sociales antérieures, voire un lieu d’émancipation. Cependant, cette potentialité d’ouverture est contrebalancée par la persistance de structures hétérocisnormatives au sein des institutions d’enseignement supérieur. Malgré leur apparente neutralité, ces environnements restent traversés par des normes implicites et explicites qui marginalisent les vécus des étudiant·es LGBTQ+. Dans le chapitre 2, les chercheuses Giorgia Magni et Isabelle Collet, de l’Université de Genève, examinent les mécanismes sociaux et institutionnels qui participent à la reproduction des violences de genre dans une université de Suisse romande. Leur contribution vise à éclairer les dynamiques normatives à l’origine de ces violences, afin de mieux comprendre comment les contextes universitaires peuvent à la fois permettre l’exploration identitaire et reproduire des formes d’exclusion structurelle.
Les travaux qui portent sur les relations amoureuses des personnes gaies et lesbiennes se penchent surtout sur les expériences vécues dans les grands centres urbains, ce qui fait en sorte que le vécu des couples de même genre est encore peu documenté en milieu rural et dans les régions non métropolitaines. Sous la plume de Lucie Tremblay, Eve Pouliot et Catherine Flynn de l’Université du Québec à Chicoutimi, le chapitre 3 présente les résultats d’une étude qualitative menée auprès de 10 femmes lesbiennes âgées de 18 à 25 ans résidant dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, au Québec. Les résultats de l’étude montrent que certains points tournants de leur vie, tels que les modèles sociaux et familiaux, les transitions résidentielles, scolaires et professionnelles, ainsi que leurs expériences intimes antérieures influencent leurs aspirations amoureuses. À tous les défis de l’émergence de la vie adulte s’ajoutent donc ceux de l’acceptation et de l’identification de l’orientation chez les femmes lesbiennes qui vivent à l’extérieur des grands centres urbains. Les résultats obtenus soulignent l’importance d’étudier différents éléments du parcours de vie de ces jeunes adultes pour dresser un portait réaliste de leurs parcours amoureux et adapter les interventions qui leur sont destinées.
2. Pluralité des genres et affirmation identitaire à l’âge adulte émergent
L’invisibilisation de la pluralité des genres engendre des défis dans la vie des personnes concernées. Leur intégration dans la communauté LGBTQ+ est parfois ardue, et le manque de représentations dans l’espace public sur lesquelles s’appuyer comme modèle identitaire est flagrant. Le chapitre 4, rédigé par Laurence Vanasse et Denise Medico de l’Université du Québec à Montréal, entend éclairer la construction identitaire des personnes qui rompent avec les catégories discrètes et normées du genre. Il s’intéresse précisément aux récits et à la construction du sentiment identitaire de neuf jeunes adultes non binaires. Cette population, qui représente presque la moitié des personnes trans, est encore trop peu étudiée en tant que population spécifique. Pourtant, elle vit des réalités et rencontre des enjeux personnels, identitaires, relationnels et sociaux différents de ceux des personnes binaires (Fiani et Han, 2019). Un manque de représentations dans les médias et de langage relatif à leur réalité rend plus difficile la découverte authentique de leur genre. Les personnes non binaires se heurtent aux discours dominants organisés autour d’une hiérarchie des genres et de sa binarité. Malgré ces expériences d’adversité, les personnes non binaires font preuve de résilience à travers une liberté dans l’expérience de leur genre. Elles possèdent une identité qui reflète un processus de créativité.
Dans un contexte de stricte vigilance autour des normes traditionnelles de genre, les jeunes trans sont particulièrement vulnérables à la pression coercitive les incitant à se conformer à la norme, ce qui les amène souvent à être rejeté·es par une partie des membres de leur famille, à faire face à des corrections constantes de leurs comportements et à être victimes de harcèlement scolaire et de stigmatisation par leurs pairs. En résultent de plus grands risques psychosociaux qui affectent le bien-être et la santé globale de ces jeunes. Le chapitre 5, signé par Luis Puche Cabezas de l’Université de Málaga, s’appuie sur les résultats d’une recherche ethnographique au long cours menée en Espagne autour des expériences de jeunes auto-identifiés ou identifiés par leur entourage comme trans. Le prisme d’analyse est double : d’une part, on évoque les éléments de reproduction du système sexe/genre dominant et, d’autre part, on explore les changements sociaux et les innovations émancipatrices qui sont en émergence à propos de la transitude. Ces innovations ne prennent pas seulement place dans le domaine privé, mais elles acquièrent aussi de plus en plus de visibilité publique grâce à l’activisme et au travail de représentation qu’entreprennent les jeunes trans et leurs familles, tant dans des contextes en ligne que hors ligne. Un autre foyer d’innovation se trouve dans le domaine éducatif. La présence, ou la visibilité accrue des jeunes trans dans les établissements scolaires est un moteur d’évolution vers une implication accrue de ces institutions dans la lutte contre le harcèlement scolaire lié à la transphobie et à l’homophobie, et dans la mise en route de mesures, de protocoles et de programmes de respect de la diversité sexuelle et de genre.
Dans le cadre d’une étude précédente portant sur les attitudes et les représentations des personnes trans et non binaires chez des groupes d’institutions collégiales et universitaires rencontrés par le GRIS-Montréal (Cloutier et al., 2024), l’équipe a constaté une asymétrie parmi les personnes ayant indiqué une identité trans ou non binaire dans le questionnaire. La quasi-absence de personnes transféminines, comparativement aux personnes sur le spectre de la transmasculinité, soulève d’importantes questions qu’Aimé Cloutier et ses collègues Amélie Charbonneau, Élias Daigle, Lou St-Onge, Phil Arianne Desmarais, Simon Marcotte, Julien Plante-Hébert et Olivier Vallerand du comité de recherche communautaire du GRIS proposent d’explorer dans le chapitre 6 au moyen d’une réflexion heuristique ancrée dans un point de vue situé trans. Le déploiement différencié du sexisme selon la position qu’occupent les individus au sein des rapports de sexe et de genre constitue un fil conducteur de cette contribution. Si l’organisme vise à rejoindre en premier lieu les personnes hétérosexuelles et cisgenres par l’entremise du témoignage, il n’en reste pas moins qu’il touche aussi des jeunes LGBTQ+ qui ont souvent peu accès à des modèles positifs à qui s’identifier et poser leurs questions. Le travail du GRIS revêt donc une importance cruciale dans la reconnaissance de l’appartenance aux communautés de la diversité sexuelle et de genre ainsi que dans la réflexion identitaire qui marque l’adolescence et le passage à la vie adulte.
3. Marginalisation, adversité et pratiques sociales
Le passage à la vie adulte et les questionnements personnels qui l’accompagnent s’inscrivent dans un ensemble plus large de rapports sociaux contribuant à encadrer et définir les expériences vécues. Les jeunes LGBTQ+ autochtones (Pullen Sansfaçon, Ou Jin Lee et Faddoul, 2022), racisé·es (Chbat et Chamberland, 2021 ; Tourki, Ou Jin Lee, Baril, Hébert et Pullen Sansfaçon, 2018), en situation de handicap (Baril, Pullen Sansfaçon et Gelly, 2020), de la neurodiversité (Strang et al., 2018) ou vivant en situation d’itinérance (Côté et Blais, 2021), par exemple, vivent et rapportent des enjeux spécifiques à leurs réalités et à leurs conditions. La recherche et l’intervention s’efforcent de mieux comprendre leurs parcours. Elles font aussi état de la nécessité de représenter cette diversité des situations et de contester les structures et les normes qui produisent les conditions de possibilité de ces expériences.
Sous la forme d’un entretien avec la sociologue Nidhal Chemengui de l’Université de Tunis, le chapitre 7 présente deux initiatives artistiques « par et pour » la jeunesse LGBTQ+ en Tunisie. Elle offre d’abord une mise en contexte permettant de situer le cadre sociolégislatif en matière de sexualité et les enjeux de reconnaissance de la diversité sexuelle et de genre dans ce pays d’Afrique du Nord. À travers son implication en tant qu’alliée au sein de deux organisations œuvrant auprès de la communauté, elle expose ensuite le potentiel transformateur de l’art pour sensibiliser la population, mais aussi, et surtout, pour réunir les personnes concernées, créer des liens et offrir des espaces de soin, de protection et de résistance.
Des enquêtes nord-américaines révèlent une surreprésentation des jeunes trans et non binaires (TNB) en situation d’itinérance. Iels rencontrent plusieurs défis au sein des ressources d’hébergement, ce qui participe à leur invisibilisation et à leur exclusion sociale. Plusieurs de ces ressources d’hébergement mettraient en place des politiques institutionnelles hétérocisnormatives qui engendrent de la transphobie. Ces politiques discriminatoires provoqueraient de la détresse chez les jeunes TNB, d’autant plus qu’iels peuvent avoir l’impression que les intervenant·es déploient peu d’actions pour arrêter ou punir ces actes de violence. Ancré dans une démarche qualitative portant sur les parcours de vie des jeunes TNB en situation d’itinérance au Québec, le chapitre 8 veut justement faire place à la parole des intervenant·es afin de comprendre les enjeux structurels et individuels qui peuvent limiter ou faciliter la mise en place de pratiques favorisant l’inclusion et l’affirmation des jeunes TNB au sein des ressources d’hébergement. Il se concentre sur les groupes de discussion qui ont été réalisés auprès de 38 intervenant·es œuvrant auprès de jeunes TNB en situation d’itinérance dans différentes régions du Québec. Le travail réalisé par Philippe-Benoît Côté, Val Banville et Philémon Julien de l’Université du Québec à Montréal a permis de capter les points de tensions et de convergences dans les discours des intervenant·es quant aux limites et aux facilitateurs de l’adoption de pratiques inclusives et affirmatives dans les ressources d’hébergement. D’un côté, les témoignages révèlent des défis institutionnels et des résistances individuelles qui freinent l’actualisation de ces pratiques au sein de certaines ressources d’hébergement. D’un autre côté, les intervenant·es décrivent différents enjeux structurels et interpersonnels qui viennent faciliter la mise en place de pratiques inclusives et affirmatives dans ces mêmes lieux.
Quelles sont les pratiques à privilégier pour accompagner les personnes autistes de la pluralité des genres ? Dans le chapitre 9, Lisandre Labrecque-Lebeau, Raphaël Létourneau et Carolane Parenteau-Labarre du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) présentent les constats qui émanent de la littérature scientifique sur l’expérience croisée de la neurodivergence et de la transitude. Cette identité double doit être comprise comme étant unique et dynamique, sans qu’une dimension prenne le dessus sur l’autre dans le regard clinique ou dans l’accompagnement. Le chapitre se concentre sur les recommandations répertoriées à l’international pour les milieux d’intervention et les pratiques sensibles à la diversité de genre. Les rares études sur le sujet révèlent que ces personnes sont exposées à un risque accru de difficultés psychosociales, en plus de faire face à des obstacles dans l’accès aux soins et aux services. Ces situations d’exclusion génèrent du stress qui vient s’ajouter aux défis déjà présents lors de la transition vers l’âge adulte. Ce passage, fortement balisé par des normes sociales, s’accompagne d’attentes auxquelles il peut être plus difficile de répondre pour certaines personnes. La transition vers l’âge adulte représente un moment particulièrement complexe pour les personnes neurodivergentes, car elle s’accompagne souvent de la perte de services essentiels et de la sortie d’un cadre scolaire qui a parfois été un point d’ancrage de longue date. Ces individus sont aussi confrontés à des injonctions contradictoires autour de l’autonomie, de la responsabilité et de la participation sociale. Explorer les parcours des personnes neurodivergentes permet ainsi de remettre en question une vision linéaire et normée du développement humain, fondée sur des étapes clairement définies et des jalons à atteindre. Il devient alors essentiel de développer des pratiques d’intervention qui reconnaissent pleinement leur vécu, leur représentation du monde et leur réalité sociale, afin de mieux les accompagner dans cette phase cruciale de leur vie.
Le chapitre 10 propose un interlude littéraire, avec un texte d’Aurélie Chouinard ayant pour titre « Faire famille ». Il s’agit d’un témoignage intime, politique et poétique d’une femme trans qui affirme sa transitude et son désir de construire une famille choisie (Chbat, Pagé, Côté et Blais, 2023), en dehors des normes traditionnelles. La poétesse raconte son coming out comme une naissance symbolique, évoque la joie de sa transition, les luttes personnelles et sociales qu’elle traverse, et la réappropriation de son corps, de son genre et de son rôle dans le monde. Elle exprime un profond désir de maternité et de transmission, même si elle ne peut porter d’enfants. Elle rêve d’une famille construite sur l’amour, la solidarité, la résistance et le soin collectif, c’est-à-dire une communauté fondée sur des liens choisis, réparateurs et inclusifs. Elle rend aussi hommage aux générations de femmes queers et trans disparues et appelle à reconstruire des modèles familiaux plus inclusifs et libérateurs.
Le désir de parentalité peut parfois être difficile à exprimer par les jeunes TNB au tournant de l’âge adulte. Cela s’explique notamment par le fait qu’il est souvent difficile d’imaginer la parentalité à l’adolescence, ainsi que par le manque de modèles de familles transparentales dans la société. Plusieurs obstacles influencent également la réflexion des jeunes sur ce sujet, dont le manque d’informations claires sur les différentes options pour devenir parent, l’absence de ressources accessibles sur la préservation de la fertilité, ainsi que l’attitude de certains professionnel·les de la santé, qui abordent rarement ces questions en consultation ou qui en minimisent l’importance dans la vie des jeunes. Pour répondre aux besoins exprimés par les jeunes et leurs parents, un outil a été conçu afin de les aider à réfléchir aux enjeux liés à la préservation de la fertilité et à prendre des décisions de façon libre et éclairée. Sous la forme d’un récit de pratique, le chapitre 11 restitue le parcours de recherche ayant mené à la création de l’outil à l’intention des jeunes trans et non binaires et en présente sommairement le contenu. Sous la responsabilité de Kévin Lavoie de l’Université Laval, ce projet de mobilisation des connaissances a été réalisé avec les membres l’équipe de l’étude Préfer Marie-Philippe Phillie Drouin, Annie Pullen Sansfaçon, Nicholas Chadi, Lyne Chiniara et Isabel Côté, en partenariat avec l’organisme communautaire Jeunes identités créatives et la clinique interdisciplinaire de diversité de genre du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine.
4. Queeriser le passage à la vie adulte
À partir de résultats d’une enquête auprès de personnes mineures LGBTQ+ en questionnement ou en exploration de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle, le chapitre 12 de la sociologue Gabrielle Richard propose, en guise de conclusion du présent ouvrage, de saisir les expériences des mineurs queers et trans à l’intersection de l’adultisme, du cissexisme et de l’hétérosexisme. L’adultisme, ou la domination adulte, désigne le système d’oppression exercé par les adultes envers les jeunes, dans un contexte social où les adultes détiennent des privilèges et du pouvoir sur les jeunes sur les plans légal, social, politique, économique et symbolique (Alvarez-Lizotte et Caron, 2022). Il s’agit de rendre compte des interactions entre les mineurs LGBTQ+ et les adultes significatifs qui les entourent, et particulièrement de celles où s’entrecroisent des considérations liées aux normes de genres et de sexualités. Cela amène l’autrice à interroger de front les limites de la notion même de « transition à la vie adulte », calquée sur un modèle où l’adultat représente un aboutissement, un état d’accomplissement personnel et professionnel qui constitue par ailleurs un modèle culturellement situé (Galland, 2000).
Cet ouvrage collectif pose un regard pluriel sur le passage à la vie adulte au prisme de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres. Les 12 chapitres présentent les résultats de recherches issues de disciplines variées et s’appuyant sur différentes méthodes de recherche, de même que des réflexions et des récits de pratique qui émanent d’expériences de terrain. De manière transversale, l’étude des sources de soutien et des contextes environnementaux susceptibles de favoriser le bien-être et l’inclusion des jeunes LGBTQ+ fait partie des différentes contributions. Dans cet ouvrage, nous souhaitons mettre les marges au cœur de l’analyse, en portant une attention particulière à l’imbrication des différentes dimensions identitaires et des statuts sociaux qui façonnent les parcours de vie des jeunes adultes LGBTQ+, ainsi qu’aux interventions novatrices et prometteuses qui émergent des communautés concernées, du milieu associatif ou des établissements de soins.
Références
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Chehaitly, S., Rahman, M. et Chbat, M. (2020). « Est-ce que c’est parce que j’ai l’air trop fif ou trop brun ?… On a plusieurs raisons de se faire détester !» Être musulman·e LGBTQ+ au Québec et vivre à l’intersection de multiples oppressions. Récits de quelques parcours militants. Nouvelles pratiques sociales, 31(2), 182-205. https://doi.org/10.7202/1076651ar
Cloutier, A., Charbonneau, A., Lavoie, K., Richard, G., Plante-Hébert, J., Daigle, É., Baril-Jannard, M., Houzeau, M. et Vallerand, O. (2024). Représentations des personnes trans et non binaires dans une population étudiante postsecondaire rencontrée par le GRIS-Montréal. Revue Jeunes et société, 7(2), 36-57. https://doi.org/10.7202/1116497ar
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