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Beethoven en France

Le livre Beethoven in France de Leo Schrade paru en 1942 raconte l’histoire de la réception du compositeur jusqu’au centenaire de sa mort en 1927. Après avoir décrit, dans la première partie, une figure romantique façonnée par « l’enthousiasme poétique » d’Hector Berlioz et l’admiration de Victor Hugo pour le « sourd qui entendait l’infini », l’auteur explore sa signification politique, déjà suggérée par certains saint-simoniens et fouriéristes. Toujours plus répandue à la fin du XIXe siècle, cette interprétation repose sur l’association de la musique de Beethoven avec les principes de la République, à commencer par la fraternité universelle de la Symphonie no 9 : « La foule en marche », selon les mots d’Octave Fouque en 1882, « la Marseillaise de l’humanité », selon Hermione Quinet en 1885.

Dans ce récit sous-titré « Histoire d’une idée », un rôle central est attribué au Beethoven de Romain Rolland, petit livre publié en 1903 par Charles Péguy dans la série « Vie des hommes illustres » des Cahiers de la Quinzaine. Pour les intellectuels dreyfusards, dit Schrade, le compositeur allemand était le héros d’une réponse collective au pessimisme culturel qui dominait les élites françaises depuis la défaite de 1870, avant de se transformer en crise morale et existentielle avec l’Affaire. Plus tard, ce « culte » de Beethoven aurait alimenté l’engagement nationaliste dans la Grande Guerre – témoin le destin de « disciples » comme Joseph de Marliave, musicologue et violoniste qui jouait encore les quatuors de Beethoven près du front avant d’être tué au combat.

Après l’Armistice, cependant, ayant « rempli sa mission avec et à travers la guerre », la « religion du Beethoven français » a connu une « ruine soudaine ». Certes, poursuit le livre, le centenaire de 1927 reste dominé par les idées françaises à travers des hommes politiques comme Edouard Herriot, ancien président du Conseil et futur biographe de Beethoven qui se rend à Vienne avec un aréopage de représentants de nombreux pays. Cependant, le musicologue allemand estime que depuis la Grande Guerre plus rien de significatif n’a été produit en France au sujet du compositeur. « La France », résume-t-il, « peut à juste titre affirmer qu’elle a cru en Beethoven, avec tout ce qu’impliquent une croyance ou une foi. »

Le livre de Leo Schrade rappelle par sa seule existence comment, après 1933, le compositeur est resté une référence pour les intellectuels allemands en exil, malgré et contre la tentative des nazis de monopoliser son héritage. L’auteur avait quitté l’université de Bonn et l’Allemagne en 1938 pour les Etats-Unis, avant d’être recruté par Yale University. Si la cause principale de son exil fut que son épouse était juive, un autre élément décisif réside dans la demande faite par Schrade en 1935 de faire un séjour de recherche à la Warburg Bibliothek fondée à n’attaque l’Institut comme emblème de « cette “science” juive et émigrée dont nous ne voulons plus », non seulement la demande fut refusée par l’Université de Bonn, mais elle déclencha une enquête interne qui se solda par le renvoi du musicologue.

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