DANS LES PILES
Je suis tombée sous le charme de deux romans rares qui, de plus, se répondent en un jeu de miroirs troublant. Deux histoires de garçons, raffinées et émouvantes, deux récits d'étudiants confrontés aux dossiers moraux délétères du xxe siècle.
Imaginez-les, ils sont jeunes et beaux, pleins d'espoirs et de désirs dans la Pologne decharismatique Janusz. Entre l'effort abrutissant et les conversations d'avenir, ils tissent bientôt des liens secrets. Puis, le camp fini, ils partent tous les deux sur un coup de tête au fil des routes. Advient alors, autour d'un livre interdit de James Baldwin, une parenthèse amoureuse et solaire, sous le signe de la révélation. Mais le retour à Varsovie est rude. Il leur faut se cacher et ruser face à la police politique. Ludwik, idéaliste sensible, s'accommode mal des arrangements du pragmatique Janusz qui fréquente la jeunesse dorée du régime, afin de tirer le maximum de cette société délabrée et toxique, derrière le rideau de fer. Lorsque Ludwik voit son excellent sujet de thèse refusé car il n'a pas les bonnes connexions, quand une amie se retrouve sans soins médicaux, il vacille. Doit-il rester et, comme Janusz, jouer le jeu du mensonge et de l'hypocrisie, ou quitter l'homme qu'il aime et partir à l'Ouest vers la liberté? D'une écriture à fleur de peau, sensible et poétique, Tomasz Jedrowski nous dévoile dans cette jeunesse sacrifiée confrontée à un régime qui lui barre la route, anéantit ses rêves. Il construit un roman parfait où chaque personnage est un archétype, où tout concourt à créer une fable puissante et déchirante. Le livre refermé, l'image des deux garçons nageant, en clandestins heureux, dans la nuit, nous hante longtemps.