Leica 0 Naissance d’une légende
Chaque fois que l’on évoque Leica dans une discussion se pose inexorablement la question du prix. Cette pièce de musée à la patine certaine ne fera pas exception, tant son estimation affole les compteurs. Entre deux et trois millions d’euros, de quoi s’offrir 223 Leica M11 équipés d’objectifs Summilux 35 mm f/1,4, ou encore un appartement de 300 m dans la capitale ! Plus concrètement, si ce boîtier est vendu au prix de son estimation en juin à la Leica Auction de Vienne (Autriche), il deviendra l’appareil photo le plus cher du monde... Pourquoi lâcher une telle somme pour cette antiquité, railleront certains ? Peut-être pour l’histoire qu’il raconte. Celle de Leica. Celle de la photographie aussi. Car ce boîtier répondant au nom de Leica 0 fait partie des premiers jalons d’une nouvelle ère photographique : le 35 mm. Ce numéro de série 105 a même appartenu à l’une des figures les plus mythiques de l’ingénierie photographique : Oskar Barnack. Mais avant de nous attarder sur ce personnage central de notre histoire, faisons machine arrière pour nous replonger dans le contexte de la fin du XIX . La photographie est siècle, 10% des Britanniques sont équipés d’un boîtier. Oui, mais à l’époque, le matériel est bien différent de l’argentique que certains pratiquent encore aujourd’hui. Déjà par le support. La plupart des appareils doivent être chargés de plaques de verre et non de films, ce qui engendre bien des inconvénients. Le premier : sans doute le poids. Les négatifs sont lourds, tout comme l’appareil photo lui-même. Second problème : l’autonomie. Pas moyen de faire plusieurs vues d’affilée, et ne parlons même pas de rafales ! Enfin, la fragilité du support est un autre frein. Dès le début du XX siècle, des ingénieurs planchent alors sur des appareils plus petits. L’invention du film souple en 1888, quoiqu’à base de nitrate de cellulose hautement inflammable, va contribuer à cette révolution. Cette technologie sert d’abord le cinéma, avec un format de base de 70 mm. Dans cette période de pionniers, la manufacture Eastman Kodak obtient très vite un quasi-monopole, et imposera pour un siècle au moins son logo jaune dans la plupart des foyers. Et dès 1901, George Eastman va trouver un autre emploi à son film cinéma, en le chargeant pour la première fois dans un appareil photo : la Kodak Box est née. En 1912, Kodak sort un autre boîtier grand public, le très compact Vest Pocket équipé cette fois de rouleaux de film au format 127 (4x6,5 cm). Le concept est alors critiqué. On pense que ce format – petit pour l’époque ! – n’est pas destiné à un usage professionnel. Pourtant, dès 1908, des ingénieurs tablent sur un format plus réduit encore : le 35 mm. Pratique, il correspond à la moitié de la largeur d’un film cinéma, ce qui constitue un atout pour l’industrialiser. Très tôt, des précurseurs sortent les premiers boîtiers photo adaptés au 35 mm. On retrouve parmi eux le Français Jules Richard qui, en 1912, lance un appareil photo stéréoscopique du nom d’Homéos, qui sera vendu à près de 1500 exemplaires. Mais pourquoi alors attribue-t-on aujourd’hui à Leica l’invention de ce format ? “Leica a parfois affirmé dans ses publicités que le Leica était le premier appareil photo 35 mm, à la grande indignation des historiens de la photographie et des collectionneurs”, écrivait à ce sujet le journaliste Michael Disney en 1989 dans le magazine américain . “Bien que cette affirmation ne soit pas littéralement vraie... elle est en un sens justifiée. En tant que modèle, le premier Leica ne doit rien à ses prédécesseurs. En revanche, presque tous les appareils photo ultérieurs doivent quelque chose au Leica. [...] On peut dire sans exagérer que l’histoire de l’appareil photo 35 mm au XX siècle aurait été inconcevable sans le Leica, et quel que soit le cours qu’elle aurait pu prendre autrement, elle aurait probablement été différente”.
