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L’HOMME qui revenait DU FROID

À quoi ressemble l’apocalypse ? Le 11 février 2015, Bernard Barbereau passe une journée tranquille de jeune retraité quand, sur les coups de 16 heures, son portable sonne. Le numéro commence par « + 7 », l’indicatif de la Russie. Bizarre. Yoann, son fils aîné de 38 ans, vit en Sibérie orientale depuis trois ans mais compte tenu du décalage horaire, il appelle en principe le matin. C’est Daria, sa compagne. Des hommes cagoulés viennent d’enlever Yoann ! Elle parle vite, bredouille des bribes de phrases incompréhensibles, « ordinateur piraté », « photos volées », « mafia ». Bernard est tétanisé. Ce doit être une erreur. Son fils dirige l’Alliance française d’Irkoutsk, pas une organisation criminelle. « Yoann est en prison ! » s’égosille Daria. Bernard raccroche et appelle sa fille Elina : « Si t’as une chaise pas loin, assieds-toi. » « Qu’est-ce que tu racontes ? » frémit-elle. Coup d’œil sur les sites d’infos : rien, pas un mot sur l’arrestation. Ils tentent de joindre le Quai d’Orsay. On les balade d’un service à l’autre, on leur demande d’écrire un e-mail, avant de les orienter vers une « cellule de crise et de soutien » sans intérêt. Vertige de l’abandon devant l’administration.

Que faire ? Le père et la fille veulent partir en Sibérie. Deux jours plus tard, Daria leur envoie la photo d’un mot griffonné par Yoann : « Torture morale et physique. » Elina croit deviner une trace de sang entre les lettres. Plus de temps à perdre. Le 18 février, après avoir obtenu un visa russe en urgence, tous deux décollent vers la Sibérie. Elle avale un anxiolytique pour dormir durant le vol. Escale à Moscou en début de soirée, arrivée à Irkoutsk à 8 h 25. Température locale : –19 °C. Un collègue russe de Yoann les conduit en 4x4 vers un hôtel datant de la période soviétique, coincé entre le mémorial de Lénine et un fast-food Subway. « Que les choses soient claires, les prévient-il. La chambre est sur écoute. »

Ils se posent dans le hall. Assis à quelques mètres, deux individus en lunettes noires semblent les surveiller. Sur le moment, Elina se demande si elle n’est pas en plein délire. Les jours passent, sans nouvelles. Ils rencontrent l’inspecteur chargé de l’enquête, un petit homme dégingandé aux faux airs de Pierre Richard. Enfin, un matin, ils peuvent rendre visite à Yoann au parloir. Il a le crâne rasé, le visage tuméfié. Il faut le sortir de là, se battre – mais contre qui ? L’accusation est aussi grave qu’irréelle : Yoann Barbereau aurait diffusé des documents à caractère pédopornographique sur Internet. Par l’intermédiaire de son avocat, il les prévient : « C’est un coup du FSB. »

Qu’est-ce qui pousse un jeune thésard en philosophie sans histoire à prendre un jour la route de l’Extrême-Orient ?

Ainsi débute une épopée aussi folle qu’étrange. Un voyage au bout de l’absurde, étiré sur trois ans et neuf mille kilomètres, qui saute des cellules crasseuses de Russie aux dorures de la République, en passant par les forêts estoniennes. Une grande mésaventure dans laquelle une bagarre au chalumeau, une rencontre avec un loup et une visite de la DGSE ne sont que des virgules. « En principe, tout ceci n’arrive que dans les films », n’ont cessé de me répéter les protagonistes de cette affaire au fil de nos entretiens. Au mois de mars, cinq ans après son arrestation, Yoann Barbereau a publié (Stock, 2020), récit de sa captivité au bout du monde. Le livre, palpitant, n’est ni un témoignage ni un essai mais un objet non identifié, entre roman d’aventures et conte fantastique. « Je n’ai rien inventé, écrit l’auteur. C’est un film et ce n’en est pas un. C’est un roman et ce n’en est pas un. » « Quand il raconte son évasion, on est dans un John Le Carré », s’est enthousiasmé Arnaud Viviant au « Masque et la plume », tandis que Jérôme Garcin s’interrogeait : « D’un point de vue de l’enquête, je n’ai toujours pas compris pourquoi, du jour au lendemain, on

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