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EFFETS DE SERRE

Tout commence par un classique e-mail de demande d’entretien, début septembre. Simple, sobre, comme on en envoie des centaines. Puis un deuxième, un troisième. Et un coup de fil. « Merci de votre intérêt. Nous allons nous renseigner. Indiquez-nous l’angle, le nombre de pages, les articles que vous avez déjà écrits. » Nouveaux échanges. « Pourrez-vous publier l’article en ligne accompagné d’un post Instagram ? » Bien sûr. Pourquoi pas ? « Nous revenons bientôt vers vous avec une date d’interview, mais envoyez-nous d’abord vos questions et la liste de toutes les personnes que vous avez contactées pour cet article. » Les e-mails s’entassent. Enfin, une date de rendez-vous. À trois jours du bouclage, le téléphone sonne. Interview annulée. Trente-septième e-mail, huit jours après : « Seriez-vous disponible demain pour l’interview de 12 h 30 à 13 h 05 ? » Une demi-heure plus tard : « Désolé, ce ne sera pas possible à cette heure-là finalement. » Nous voilà bientôt arrivés à soixante e-mails et l’on hésite entre se rouler par terre de frustration ou éclater de rire. Celle qui se dérobe n’est pourtant pas une lobbyiste diabolique de Monsanto, encore moins un rouage du grand banditisme placé sous protection des témoins. C’est la créatrice de mode indépendante la plus convoitée du moment.

Dans un univers feutré, peuplé d’intermédiaires veillant à des enjeux financiers plus grands que la vie elle-même, cette méfiance n’a rien d’anodin. En à peine trois ans, les combinaisons moulantes façon de Marine Serre, couvertes d’un mystérieux croissant de lune, ont envahi Instagram et apparaissent sur les tapis rouges de trois continents, comme les indices d’un culte mondialisé. En Corée du Sud, les chanteusesnoir et rouge, en bord de terrain d’un match de basket. Mais aussi sur la chanteuse Dua Lipa, alanguie sur la pochette du single Sur Cardi B, dans une impossible robe de latex à la Fashion Week de Paris. Sur Adele, Ariana Grande, les sœurs Kardashian, Charli XCX et même l’animatrice de talk-shows Wendy Williams. Elles ne portent pas seulement la marque ; elles la revendiquent. À leur suite, une communauté de youtubeurs, d’influenceurs et d’anonymes affirme sa dévotion à coups de cartes bancaires et de messages d’amour postés sur les réseaux sociaux. Ses combinaisons All Over Moon, environ 450 euros, s’arrachent sur Internet. L’imprimé se décline désormais en tops, en leggings, en gants, en cagoules, en harnais pour chiens. Ceux qui les achètent compulsivement savent-ils que leur créatrice se veut le fer de lance de l’anti-consumérisme ? Que ses défilés mettent en scène des univers postapocalyptiques pour dénoncer le gaspillage, qu’ils parlent de crise environnementale, financière ou migratoire et de l’effondrement de la civilisation capitaliste ? Voilà le fascinant paradoxe qui nous a lancés à la poursuite de Marine Serre, 28 ans.

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